2. La fête de l'hiver

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Hello,


Ah, je savais bien que je serai à la bourre... Mais je ne pensais pas que ce serait dès la deuxième semaine !

Bonne lecture 

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Seigneur et maître des lieux en tête, le petit groupe pénétra dans le château. Ce qui fut autrefois splendeur et domination n'était plus que ruine et décrépitude. La toiture ne tenait que par miracle et seuls la malédiction couplée aux multiples enchantements de la nuit funeste maintenaient les murs en place. Avec les siècles, et sa réputation, les acquéreurs s'étaient faits rares, et les restaurations plus encore. Cela convenait parfaitement à Zelyan, ce château était le cœur de son duché et il avait pour unique regret la maigre portée de la malédiction qui ne couvrait que le château, une partie de la forêt et de la plaine et quelques malheureux milles nautiques.

La salle principale demeurait cependant somptueuse. Les tentures en lambeaux coulaient le long des murs de pierres noircies par les feux. Là-bas, au fond, deux sièges, pièces d'orfèvreries, dominaient les lieux du haut d'une estrade en bois. Zelyan accompagna Ereyne et l'invita à s'asseoir à son côté avant de lui-même prendre place. Caron s'installa debout, un peu derrière son frère et Cracotte s'allongea au pied de sa maîtresse en émettant la version saurienne du ronronnement. Duc et duchesse jetèrent un regard circulaire à la salle puis s'encouragèrent silencieusement d'un geste de la tête et enfin, Zelyan leva une main. Ce fut l'explosion.

Un grand vacarme emplit la salle, les cris et les insultes fusèrent en harmonie avec les plaintes et les gémissements. Des vents surnaturels s'engouffrèrent à travers les vitres brisées et amenèrent avec eux nuages et éclairs. Les habitants du château, galvanisés par cette date anniversaire, se déchaînaient. Les plus jeunes morts couraient à travers la pièce, certains avec un membre en moins, persuadés d'être vivants et de vivre une nuit d'horreur. Les plus habitués concentraient leur puissance et se défiaient à coups d'esbrouffe. Les désespérés perdaient le peu de contenance qui leur restait et s'en allaient se pendre aux lustres.

D'un second geste de la main, Zelyan imposa le silence. Il murmura quelques mots à son épouse qui fronça les sourcils puis il se dressa et fit face à cette foule plus nombreuse chaque année.

— Vous êtes morts, déclara-t-il tandis qu'il les fixait d'un air mauvais. Oui, toujours.

Il marqua une pause, le temps que les morts de l'année courante s'effondrent en larmes, supplient leur dieu ou appellent leur mère. L'expérience lui avait appris que les morts n'intégraient et n'ancraient leur décès qu'au cours de leur cinquième année post-mortem. Les quatre premières étaient consacrées à la fuite, à l'horreur, et au déni. Il n'était donc guère étonnant que les quatre dernières recrues, âgées de quelques semaines, soient regroupées dans un coin de la pièce, main dans la main, terrorisées. Le seigneur ne leur accorda aucune compassion ni pitié. Il avait hérité son caractère fort peu généreux des mâles de sa lignées. Les Wood étaient des seigneurs de guerre sanguinaires, des rustres sans cœur qui n'accordaient pas la moindre importance à la vie humaine. Zelyan, plus que ces ancêtres, s'était illustré par sa cruauté hors du commun. Il avait tué chacune des maîtresses qu'il avait mises enceinte en les étranglant avec le cordon ombilical de leur nouveau-né avant de balancer mère et enfant du haut des remparts surplombant la falaise. De fait, les larmes de quatre intrus dans son château ne l'émouvaient nullement.

Il reprit sa tirade, des meubles avaient été cassés au sixième étage de l'aile est, cela lui était intolérable. Les âmes pouvaient souffrir et se torturer ad vitam eternam, mais le chandelier du 15ème siècle qui avait servi au comte Berksire a tué sa femme après un record de quatorze jours de hantise par lui, Zelyan, était une relique à conserver.

— Le comte, on l'applaudit, dit Zelyan en joignant le geste à la parole. Il admirait le fantôme, situé dans le quart droit de la pièce, debout, encore couvert du sang de son épouse qui se tenait avec lui, vêtue de sa robe de nuit dégoulinante. J'ai personnellement hanté continuellement le comte durant pratiquement deux semaines et vous devriez tous admirez son sang-froid et sa ténacité. Nul en cette demeure ne rivalise avec le comte Berksire.

Il poursuivit avec une menace.

— Ma parole est ici loi. Détruisez encore mes biens et vous subirez mon courroux !

Satisfait de la vague d'effroi qu'il avait provoqué, Zelyan se rassit, et sourit à son épouse.

— C'est aussi valable pour vous ma chère, vous savez ce qu'il en coûte de me décevoir.

Ereyne en eut un frisson, ce qu'il apprécia. La peur ne la rendait que plus belle, et elle n'avait jamais été aussi jolie que le jour de leur mariage.

— Je tâcherai de m'en souvenir, réussit-elle à articuler avec un sourire.

Sourire qui s'effaça avec l'avancée d'une âme qui n'aurait jamais de repos. La femme était grande, avec une longue cascade de cheveux bruns. La beauté l'avait quitté bien avant sa mort, emporté par un torrent de haine et de jalousie. Sa robe flottante était aussi sombre que son cœur. Couverte d'eau de mer, des coquillages plantés dans le bras et de longs filaments d'algues sur les épaules et une odeur rance pour parfaire la tenue, elle déclencha une nausée à Ereyne qui posa une main sur son cœur.

— Votre altesse, déclara la morte en s'inclinant devant Zelyan. Nous fûmes séparés bien longtemps.

— Natalya, ricana Zelyan, serais-tu tombée dans l'eau ?

Il connaissait fort bien la réponse pour avoir admiré la chute originelle mais il lui était particulièrement agréable de toucher la corde sensible. L'âme perdue le méritait bien, elle faisait de même avec son épouse.

— Le vide et les flots ne sauraient avoir raison de mon amour pour vous. Mes jours et mes nuits sont hantés par mes souvenirs de vous, de nous, de nos étreintes, de nos sentiments.

— Et te rappelles-tu de ma colère ? demanda le duc dont le visage s'était assombri.

A côté de lui, Ereyne luttait pour ne pas vomir. Blême, la couleur de sa peau se rapprochait de plus en plus de celle de sa robe. Compatissant, Caron lui tapotait l'épaule d'une main. De l'autre il se bouchait le nez.

Cette fois, Natalya n'insista pas et s'en fut se mêler à la foule. Ils avaient cette discussion plusieurs fois par an, ce n'était que partie remise. L'odeur mit plus de temps à partir mais finalement Ereyne reprit des couleurs.

— Pourriez-vous annoncer la fin des festivités, que je puisse me retirer ?

— La nuit de l'hiver ne fait que commencer ma douce, je compte bien profiter de cette petite sauterie jusqu'au lever du jour.

— Pour une fois Zelyan, épargnez-nous cette fête bruyante et primale. La nuit est paisible, le monde est endormi...

— Et je suis toujours mort, grogna le duc. Tu voulais me maudire, Ereyne, tu as réussi, maintenant assume !

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Merci d'avoir lu ce chapitre  !

Axel. 

Wood Castle - Priez pauvres fous !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant