Partie 2

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Il est 19h, je suis complétement épuisée par ma journée qui c'est fini à 18h. J'ai enchainé un bac blanc et un contrôle et cela seulement pendant mes six premières heures de cours. Mais j'ai tout de même laissé mon frère rentrer plus tôt pour pouvoir rejoindre quelques amis au squat. Dès que j'ai la possibilité de ne pas retourner chez moi dans l'immédiat, je la saisis. C'est peut-être un peu égoïste de ma part mais mon père est de plus en plus violent ces temps-ci. Ma mère me répète sans cesse que ça va passer, que l'homme qu'elle aime, qu'elle a épousé est toujours là, que c'est juste une passe difficile. J'essaye de la croire mais c'est vraiment compliqué, car cela fait au moins deux ans qu'il est comme ça et même s'il y a des moments où j'ai l'impression de retrouver mon père d'avant, ça ne dure jamais longtemps. La guerre l'a complètement détruit, que ce soit physiquement, en lui arrachant sa main, ou mentalement. Et plus le temps passe, plus je comprends que le père aimant qui jouait avec moi lorsque j'étais petite, ne reviendrai jamais et qu'il ne me restera plus que ce semblant de père attaché à sa bouteille comme l'est un parasite à son hôte.

Lorsque j'arrive devant ma maison, j'y trouve deux voitures de police garées et une foule de curieux essayant de comprendre ce qui s'est passé. La peur de me gagne. Je cours, passe la banderole de police qui empêche les voisins de s'approcher, me dégage lorsqu'un officier essaye de m'arrêter et je regagne l'intérieur. Tout se coupe, je n'entends plus aucun bruit extérieur, je suis totalement paralysée. Mes chaussures blanches sont recouvertes de sang, celui de ma mère qui est allongée inerte à mes pieds. Sur son corps sont exhibées les marques de violence qu'elle a subie. Un couteau dans sa poitrine, des hématomes et des coupures partout sur son corps, sa jolie robe jaune à pâquerette qu'elle adorait mettre même en hiver est déchirée dans le dos et sur le haut de la cuisse. Cependant son visage contraste totalement avec la scène d'horreur, elle semble en paix, pour de bon.

Mon instinct me dit que ce n'est pas fini, et machinalement je me dirige vers la cuisine. Les larmes coulent toute seule, et mon corps exécute tout ce qu'on lui commande, n'écoutant pas mes propres volontés. Les policiers que je croise sur mon chemin semblent essayer de m'arrêter, je comprends qu'ils me crient de les écouter mais rien ne parvient jusqu'à moi, une bulle m'obstrue de l'intérieur. Je garde la tête haute et regarde loin devant moi par peur de retrouver le même cauchemar que dans le salon.

Mon pied vient de heurter quelque chose, ou plutôt quelqu'un... Je baisse la tête et l'horreur me gagne. Je m'effondre sur le corps de mon frère en tremblant. Mes habits, mes mains, mon corps tout entier s'imbibe de son sang. Quant à son visage, il se nettoie avec mes larmes. Je commence à revoir ses traits, son implacable fossette, mais ce n'est pas le même, il a été totalement défiguré.

Quelqu'un me soulève et m'éloigne de mon frère, un autre prend des photos puis l'équipe du médecin légiste l'enferme dans un sac. Un vulgaire sac plastique noir. Mon monde vient de s'effondrer, de se briser, je n'ai plus rien, et ma famille que j'aime tant n'est plus qu'un banal détritus !

Le policier essaye de me faire sortir mais je sais que ce n'est pas fini, le responsable de mon malheur est toujours là, il m'attend. Je me dégage et cours jusqu'à la cuisine. Il est là à genou, quatre policiers essayent de l'embarquer mais il résiste. Il attend. Il m'attend. Dès que je rentre, il lève la tête et c'est là que je le vois. Que je les vois réellement ; les résultats des ravages de la guerre, de la haine. Il est calme en apparence mais je sais qu'au fond de lui il crie victoire, comme si c'était ce qu'il avait toujours souhaité. Il a gagné. Il en a fini avec nous. Il me lance un sourire glaçant avant de se laisser faire et de partir avec la police. Il n'a aucun regret, et aucune considération pour moi. Il passe à mes côtés sans un mot. Cependant, c'est comme si je pouvais entendre sa seule et unique pensée : « il fallait rester avec ta famille, toujours rester avec sa famille ».

Un claquement de doigts (one shot)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant