Partie 1

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Imaginez que votre vie ne soit qu'un rêve, une pensée. Une mauvaise manipulation et c'est fini. Un endroit qui semble si réel, magnifique jusqu'au jour où tout s'effondre. Et le dernier son que vous entendrez sera un « bip » qui ne fera que résonner dans votre tête jusqu'à l'éternité...

« Bip ; bip ; bip » c'est le son qui résonne chaque matin chez des millions de personnes. Des personnes qui rêve de ne plus jamais d'entendre ce bruit assourdissant. C'est cet écho là que j'ai encore une fois subit ce matin, comme tous les matins. Je peine à me lever mais je dois le faire car c'est comme cela que tout fonctionne.

Nous sommes le 19 décembre et dehors il neige. J'attends mon bus avec mon long manteau et mes écouteurs à fond pour ne pas percevoir le chahut des autres élèves à côté de moi. Dès l'arrivée de notre car scolaire, je m'empresse de m'asseoir près d'une fenêtre et de mettre mon sac à côté de moi pour que personne ne vienne m'embêter.

- Salut Anna, ça va ? Moi ça ne va pas trop, je t'explique, ...

Ça, c'est la voix stridente de Miriam, elle vient d'enlever mon sac et de s'asseoir à mes côtés pour me raconter une énième fois sa vie. Par politesse, j'enlève mes écouteurs pour l'écouter mais en réalité mes pensées sont complètement ailleurs.

Le bus s'arrête au pied de l'immense portail de l'enfer, il est rouillé avec des teintes rouges. Devant, une horde d'adolescents embaume l'air avec l'odeur infecte de leurs cigarettes. Je passe, la tête baissée, devant toutes ces harpies en manque de leur dose de nicotine dès huit heures du matin. Puis, je franchis ces énormes portes en regardant le surveillant affalé contre la grille sur son téléphone. Il me jette un regard glacial comme si je le dérangeais. Sans y prêter attention, je me dirige vers mon casier, toujours perdu dans mes pensées.

Après avoir récupéré mes cours de la journée, je pars vers ma première heure de torture. Les regards insistants des autres élèves me pèsent. Je passe dans ce couloir qui est devenu pour moi un abîme. Mon cœur bat de plus en plus vite et fort lorsque je m'approche de ce fameux casier. Un attroupement y est réuni, mais au moment où j'arrive, tout le monde s'écarte. Je revoie son visage si familier, ce visage que j'aime tant regarder depuis toujours, le visage de cette personne qui m'est très chère. Mais, comme depuis plusieurs semaines maintenant, je ne le vois plus qu'à travers des photos. Son casier est devenu un mémorial pour les hypocrites et le lieu où ils se recueillent pour déculpabiliser.

Les fleurs et les petits mots que lui ont laissé les élèves du lycée qui ne lui prêtaient pas attention de son vivant, me font bien rire. Mais surtout, je ne supporte pas leur regard de pitié que je reçois sans cesse en passant par là. Cependant le pire restera toujours lorsqu'ils viennent me voir pour me plaindre. Des « je suis vraiment désolé pour ton frère, et pour ta mère » ; « tu es forte » ; « si tu as besoin je suis là pour toi » ; « je ne comprends pas comment ton père a pu faire ça ». Des paroles en l'air, de personnes qui n'en ont rien à faire de moi ni de ma famille, qui veulent juste se donner bonne conscience. Parce que oui, j'avais besoin d'aide, ma famille aussi. Il y avait des indices, les hématomes sur mon corps, ma fatigue constante, la peur et ma réaction d'auto-défense dès que quelqu'un faisait un geste trop brusque près de moi. Personne ne voyait l'appel au secours que mes yeux, et ceux de mon frère, affichaient. Jamais personne ne voit la détresse à temps.

Maintenant c'est trop tard, le mal est fait. L'irréparable, l'impardonnable a été commis. Personne ne me rendra mon petit frère, avec qui ma complicité était indiscutable, ni les heures de discussion qu'on pouvait avoir sur quelle était la meilleure série. Personne ne me rendra ma mère et ses câlins réconfortants, ni les biscuits à la cannelle qu'elle préparait sans cesse lorsque nous étions petits pour le Père Noël, et que mon frère et moi finissions par manger en cachette le 24 au soir lorsque tout le monde était couché. La vie de famille parfaite, dans une petite maison chaleureuse qui accueille volontiers des amis, n'existe plus et cela depuis plusieurs années maintenant. Mais au fond de moi, la flamme de l'espoir, l'espoir que tout ne soit pas fini, était toujours allumée. J'espérais qu'il troquerait sa bouteille contre nos bras réconfortants, qu'il abandonnerait ses coups et nous offrirait sa douceur, qu'il laisserait sa rage pour nous combler de bonheur...

Les heures passent, les cours défilent, les professeurs nous ressortent le même refrain qu'ils répètent à toute leur classe avec toujours le même ton monotone. La vie continue autour de moi. Mais pour moi elle s'est arrêtée, elle n'a plus aucun goût, aucune raison.

Assise seule à ma table avec pour seule compagnie mon plateau du midi, je regarde la vie qui a repris son cours normal pour tout le monde. J'ai beau essayer de ne plus y penser, de faire face à ce drame mais je les revois constamment. Sur les visages des autres élèves, dans la rue, dans mes rêves. Partout.

Au début c'était agréable, c'était comme si ils n'étaient pas partis, mais plus le temps passe, plus les images plaisantes laissent la place au cauchemar. Je ne vois plus le doux visage de ma mère mais son corps ensanglanté avec le couteau qu'elle utilisait pour nous préparer à manger, planté dans sa poitrine. Le sourire de mon frère s'est effacé et a laissé place à un visage en sang. Leurs regards affectueux ont été troqués contre des regards accusateurs.

Mais celui qui me revient le plus souvent, c'est le portrait de mon père après les avoir assassinés. Aucun regret dans ses yeux, et un sourire glaçant plaqué sur son visage. Je vois ses mains en sang, qui se rapproche de mon cou et le serre de plus en plus fort. L'air me manque, la panique me gagne et j'ai beau me débattre, je ne peux rien faire. Il me tient.

- Anna ça va ?! me crie inquiète Miriam.

Je suis en sueur et mon cœur bat très vite. La fourchette que je tiens dans la main est pliée à force de m'appuyer dessus. Je la lâche et je remarque que je tremble de tous mes membres. J'essaye de me ressaisir et lui adresse un sourire.

- Alors, je disais... continue-t-elle comme si de rien n'était.

Je ne me suis même pas rendue compte de sa présence, et elle ne semble pas réellement remarquer la mienne. Au moins avec elle, je n'ai pas l'impression d'être prise en pitié, je n'ai même pas l'impression d'exister.

Ma journée de cours s'est passée comme si je ne l'avais pas réellement vécue. J'ai l'impression que je suis constamment dans un autre univers, à côté de mon corps.

La foule qui attend le bus me décourage de le prendre. Je passe devant elle avec mes écouteurs, totalement dans mes pensées mais cela ne m'empêche pas de remarquer tous les regards qui se tournent vers moi. J'erre dans la ville sans savoir réellement où aller. Mes pensées me rattrapent et m'envahissent. J'entends Miriam me raconter sa vie une énième fois, toutes les personnes qui viennent me plaindre, ceux qui critiquent ma famille, ma mère qui m'appelle pour manger, mon père qui hurle mon prénom fou de rage, les pleurs de mon frère après avoir était projeté contre le mur par mon père. Toutes les voix se mélangent, m'agressent. J'ai l'impression de devenir folle. Je ne peux plus contrôler mes pensées. J'ai affreusement mal à la tête, ma vision se trouble à cause de mes larmes qui imbibent mes yeux. Les bruits de l'extérieur n'arrangent rien et m'enfonce encore un peu plus.

« Stop, arrête-toi là » me crie ma voix. C'est la première fois que je l'entends. Les autres semblent s'être tus et ont laissé la place à la mienne. Je lève la tête et me retrouve face à ma maison. Mon cœur s'emballe et mes mains deviennent moites. Tout me revient à l'esprit en un instant.

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Un claquement de doigts (one shot)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant