Chapitre 1 - partie 3

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Un large escalier fait face au vestibule. A' en juger par les nombreuses toiles d'araignées, son aspect défraîchi et le fumet de moisissure, la demeure n'avait plus été habitée depuis des lustres. Sa conception la rend sombre et anguleuse, propre à faire naître ou conforter les sentiments les plus noirs ; un terrain de vie et de jeu idéal pour mes semblables. L'Autre doit s'y sentir à son aise, encore qu'il ne paraisse pas en quête de nourriture dans l'immédiat. Son attention toute entière reste dirigée vers la jeune fille mais, bien que je me tienne à bonne distance pour ne pas trahir ma présence, je sais qu'il n'a pas faim : son intérêt pour elle est autre.

Après un bref échange avec sa mère, celle-ci entame l'ascension des marches, lentement. L'Ombre profite de son passage pour se glisser dans son sillage. Devinant que la mère ne tardera pas à la suivre, j'opte pour la silhouette de cette dernière.

Parvenue au palier, la jeune fille entreprend d'explorer l'étage en longeant les murs, laissant ses doigts traîner derrière elle contre les parois d'un rouge sombre évocateur d'hémoglobine. Je lis dans l'esprit de la mère que la fille se sent vaine et ignorée des vivants, qu'elle traverse l'existence telle une ombre. Telle une ombre... On ne saurait mieux dire.

L'adulte redescend aider le père quelques instants plus tard. Toute la famille s'attèle bientôt au ménage et autres déballages des boîtes, si bien que nul ne remarque mes allées et venues. L'Autre ne quitte pas l'adolescente d'une semelle.

Je finis par me lasser de mes observations. La nuit étend son voile et l'appétit me gagne, je quitte donc la maison à la faveur du voisinage, certaine que l'Autre s'établira dans la demeure quelque temps. Rien ne presse, donc, il ne m'échappera pas.

Une visite sommaire du quartier m'apprend que de nombreux enfants vivent là. Ceux qui connaissent déjà les Ombres commencent à s'inventer des excuses pour ne pas rester seuls, je les entends passer en revue mille subterfuges tandis que leurs parents installent des veilleuses inutiles, croyant les rassurer. Les sots. Ils ne savent pas que la seule vraie protection vient du sommeil ; nous ne pouvons pas les atteindre lorsqu'ils dorment. Au mieux, nous pouvons leur insuffler des cauchemars, mais ces choses-là s'oublient.

Les peurs des tout-petits se répandent dans l'air. Je les hume, m'imprègne de leur saveur... Diable, quelle faim !

Les OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant