Chapitre 1: La poisse

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Shirley leva les yeux au ciel, avant de pousser un soupire, et d'entrer dans le taxi, saluant pour la dernière fois son aînée. Elle n'aimait pas mentir à sa soeur, mais aujourd'hui était un cas de force majeure. Evidemment, elle avait bien entendu un rendez-vous d'affaire, mais ce n'était pas à sept heures trente comme elle l'avait laissé croire mais plutôt à dix sept heures. Pour l'instant, elle devait encore passer chez Samira, et l'aider dans sa maladie. La pauvre vieille femme était malade, et résidait seule, dans un quartier plutôt dangereux. Malgré tout ce que la rousse avait fait pour la convaincre de changer de maison, et de s'installer dans un coin plus tranquille, la séxagenaire ne l'écoutait pas, et était aussi têtue qu'une mûle. La vieille défendait bec et ongle son loti, et avait déjà ménacé moultes fois de jeter Shirley dehors, si elle emmenait encore le sujet de son démenagement sur le tapis. Et la rousse savait bien qu'elle en était capable. Autant que Samira ne voulait pas partir, Sheska ne voulait pas non plus que Shirley mette ne serait-ce qu'un pied dans ce quartier mal famé. C'était l'un des coins les plus redoutés de toute l'île. Certes, la rousse n'avait pas été personnellement la sujette d'une agression, mais elle avait lu plein d'articles dans le journal de ce genre là, et se demandait encore ce que Samira pouvait bien trouvé à cet endroit. Un vrai mystère.

La rousse, à un moment donné, se vit obliger de descendre; parce que pour entrer dans Suerzya, la route n'était praticable qu'à pied, sauf si bien sûr vous vouliez votre voiture refaite à la peinture couleur boue et aux pneus creuvés par les miltilpes objets contendants qui jonchaient le sol. Ce quartier était un vrai dépotoir, et il était tellement loin de la ville qu'à chaque fois, il fallait une heure et demi de route pour l'atteindre. Shirley reserra son étreinte sur son sac, tout en fixant le panneau qui indiquait le nom de l'endroit. Les mots bienvenue à Suerzya etaient à peine lisibles, recouverts de boue et de divers grafittis. Comme à chaque fois, son coeur se mit à battre plus fort, et prenant sur elle, elle mit un pied dans la matière marronne qui servait désormais de sol, se defaisant du bitume rassurant. A chaque pas, elle entendait le bruit de craquement que faisait ses talons plats, sur les divers objets qui étaient sur le sol, et bien que cela ne servit à rien, elle espérait que personne ne les entendrait. Il était maintenant huit heures et demi, pourtant, il n'y avait personne d'autre qu'elle dans les rues. Ce qu'elle avait fini par comprendre en venant ici depuis maintenant six mois, c'était que ce village ne commençait à s'animer qu'à treize heures, et redevenait muet à peine le soleil coucher. Le reste du temps, il était calme, et avait des allures de ville fantôme, terrifiante à souhait. Ce silence était comme celui qui précèdait la tempête, annonciateur de mauvaise nouvelle. C'était toujours dans ce silence épouvantable que les agressions avaient lieu, et, paraitrait-il, que même si vous demandiez à l'aide, aucun des habitants ne daignaient sortir pour vous aider. Le coeur lourd, la tête toujours baissée, fuyant le regard de ceux qui avaient la curiosité de l'épier à travers leurs rideaux, la rousse hata ses pas; et fut bientôt devant une maison légèrement à l'écart des autres. C'était une petite maison de couleur jaune, ou plutôt qui fut jaune une fois. Maintenant les murs extérieurs étaient recoverts des traces de boue et de mains d'enfants. Samira disait de cet aspect qu'il consistait l'une des plus belles couleurs au monde, la preuve vivante que des enfants trouvaient encore amusant cet endroit. La vieille avait refusé énergiquement la proposition de Shirley de faire renover cette maison. C'était son chez elle avec toutes ses qualités et tous ses défauts, il était hors de question de le dénaturer.

La rousse toqua par trois fois, mais aucun signe de vie de Samira. Elle toqua une fois de plus, mais n'étant pas particulièrement patiente, surtout sachant ce qui l'attendait pour le restant de la journée, elle prit la liberté de sortir le double des clés de son sac, et d'ouvrir par elle-même la porte. Ce n'était pas comme si elle entrait par effraction, après tout, c'était Samira elle-même qui lui avait donné les clés de chez elle.

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