Partout en Eleth'via, les bardes chantaient les louanges d'Aldriel. Héros des Vivants, Porteur de Paix, Lumière du matin, Aldriel des Monts de Granite... Nul n'ignorait son nom. Les histoires d'Aldriel étaient enseignées aux enfants dans les écoles ; les vieillards remerciaient les dieux chaque jour pour l'existence du sauveur ; les soûlards reclus au fond des tavernes buvaient à sa santé ; et les riches érigeaient régulièrement des statues à son effigie au bord des routes. Aldriel était aimé de tous. Il avait apporté paix, richesse et sérénité dans le royaume d'Eleth'via. Son tombeau était le lieu de pèlerinage le plus visité, et le sanctuaire le plus respecté de tout le royaume.
La vérité, c'est qu'Aldriel n'avait jamais existé. Pourtant, la paix était bien là. Mais ce n'était pas un héros, ni même un homme, qui portait ce nom. Aldriel avait été créé par les femmes d'Eleth'via pour maintenir la paix du royaume. C'était une guilde, composée de deux branches sociales : les privilégiées, et les vagabondes. Les privilégiées étaient les épouses et filles d'hommes riches, de classes guerrières et bourgeoise. Elles étaient responsables de l'accalmie militaire, en empêchant leurs hommes de se faire la guerre. Responsables des caisses au sein de leurs familles, elles étaient aussi responsables de transférer leurs surplus d'or aux vagabondes, qui pouvaient ainsi vivre convenablement, mettant fin à la pauvreté du pays. Les vagabondes, quant à elles, représentaient la majorité de la guilde. Elles étaient responsables de l'éducation des enfants, des temples d'Aldriel, et d'empêcher toute révolte paysanne. Grâce à la guilde, le peuple d'Eleth'via n'avait plus connu la guerre ni la famine depuis plus de cent ans. Depuis que la fondatrice, Al-Drael, réussit petit à petit tout au long de sa vie, à réunir les femmes de son village, puis de son comté, puis du pays. La guilde contrôlait le royaume dans l'ombre des hommes au pouvoir, leur laissant penser qu'ils étaient toujours décideurs. Afin de garder leurs actions secrètes, elles avaient créé le personnage d'Aldriel des Monts de Granite, et avaient fait ériger son sanctuaire dès la fin de la dernière guerre. La légende du héros était née, et avec sa prétendue mort, la paix était tombée sur le royaume d'Eleth'via.
Les jeunes femmes apprenaient l'existence de la guilde dans leur quatorzième année. On les jugeait alors aptes à comprendre le pourquoi du comment, et surtout, aptes à garder le secret aux hommes et aux enfants. Depuis cent ans se déroulait le même rituel : les femmes de la famille allaient réveiller la jeune femme à l'honneur le jour de son quatorzième anniversaire, puis l'emmenaient dans le temple d'Aldriel le plus proche. Lors de cette cérémonie, les hommes n'étaient pas conviés. Plus que ça, ils étaient même interdits d'accès par décret royal. S'ils voulaient aller prier un jour de cérémonie, le temple leur disposait un autel de fortune à l'extérieur. La raison officielle de l'interdiction donnée par le décret était que la cérémonie était un rituel de passage à l'âge adulte pour toute femme en âge de fonder une famille. Les femmes adultes expliquaient à la jeune femme à l'honneur les règles de bienséance, l'étiquette, comment bien se comporter face à son mari, quand et comment être fécondée, et comment bien remplir son devoir en tant que femme. Évidemment, ce n'était là que les informations données par les femmes du temple aux curieux depuis plus de cent ans. Et, ce n'était qu'à moitié un mensonge. Le rituel commençait par une promesse de garder secret ce qu'elles allaient apprendre. Elles devaient jurer, la main sur le cœur, face à une statue d'Aldriel (qu'elles vénéraient encore jusque-là), de ne rien révéler de ce qui allait se passer à qui n'était pas présent dans le temple ce jour-là. Là, on apprenait effectivement aux jeunes femmes comment se comporter, mais ce n'était pas pour plaire à leur futur mari, c'était pour le surveiller, et le garder au calme. Aux vagabondes, on apprenait à calmer les envies de révoltes paysannes. Aux privilégiées, on apprenait à calmer les envies de violences martiales. En plus de l'histoire de la guilde, on leur apprenait aussi à comprendre leur propre corps et, effectivement, quand et comment être fécondée, pour avoir le choix. Puis, le rituel se terminait par l'apposition par la jeune femme de son nom dans un registre. Elle devenait alors membre de la guilde, lui assurant pérennité, et jurait par Al-Drael de garder le secret jusqu'au jour où la Reine en place - qui faisait aussi, évidemment, partie de la guilde - annoncerait publiquement la vérité au peuple.
VOUS LISEZ
Aldriel Porteur de Paix
FantasyLa paix du royaume, maintenue par la guilde des filles d'Al-Drael depuis plus de cent ans, est menacée. Aldriel, le porteur de paix, semble avoir abandonné ses fidèles comme un dieu absent. La population ne croit plus en la paix, et des guerres vont...