Maintenant

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– Jordan est venu te parler ce matin. Tu dois être contente.

Je lève les yeux du livre qui m'occupait – un roman fantasy emprunté à la bibliothèque – installée en plein courant d'air sur un banc du grand préau. Anastasia est juste en face de moi. Son bonbon bleu est tout pâle, au point où il me donne envie de l'attraper pour le dorloter.

« Ne t'inquiète pas, petit bonbon, tout va bien se passer. »

Pourtant je reste rigide face à ma meilleure amie, mon propre bonbon à peine visible.

– Pas plus que ça. J'ai décidé que je voulais pas être vue avec eux, finalement. Ils sont trop nuls, même pas capables de monter une tente.

Elle rit et ça me détend d'un coup.

– Tu veux être vue avec qui alors ?

Je hausse les épaules et je glisse mes fesses sur la gauche pour lui faire de la place. Mon index vient se croiser sur son voisin.

« Toi, nounouille. »

– J'ai pas encore fait mon choix. Tu connais des volontaires ?

Même si je ne vois pas bien son visage, noyé sous le bleu qui palpite, je sens son regard sur moi. Elle retire son sac à dos et s'installe à côté, sur le banc.

– Je t'en veux encore, tu sais.

– C'est normal. Je cherche encore comment je pourrais me faire pardonner.

– Il paraît que les Gémit Bendrix sont en concert au bar ce week-end.

Je grimace. Pour mon plus grand malheur, Anastasia est amie avec le chanteur de ce groupe au nom dégueulasse.

– Peux pas. Je suis punie.

– Et ça doit te faire tellement de peine, s'esclaffe-t-elle en posant sa main sur ma cuisse.

Ce simple contact me coupe le souffle. Mon âme n'a plus rien d'un bonbon, elle est d'un fuchsia éblouissant. Pourtant, j'ai à peine le temps de sourire que Méline s'avance vers nous. Elle glousse et fait frémir son âme toute noire. Même quand on est pas croyant, ça fiche la frousse. L'enfer, c'est cette âme. La plus noire et la plus malfaisante de tout le collège.

– Alors, la binoclarde, t'as retrouvé ta petite chérie ?

Quoi ?

Anastasia réagit au quart de tour et retire sa main, trop équivoque. Désormais, la petite boule bleue se cache dans sa poitrine et mon amie que je croyais si forte, indestructible, est en fait aussi fragile que nous tous. Elle bredouille mais personne ne l'écoute. Ni moi, qui suis sous le choc ; ni Méline et ses copines, qui veulent juste la faire souffrir.

– Allez, parle plus fort. On t'entend pas bien.

– C'est pas ma chérie. On est juste amies.

Entre deux bruits de cochon qu'elle imagine mignons, Méline glousse à s'en étouffer.

Tout autour de nous, les yeux se braquent sur la scène, avec en vedette la binoclarde aux cheveux roses, la meilleure amie qui l'a fait pleurer une semaine plus tôt, et en face la reine des idiotes et sa clique.

Ma main court jusqu'à Anastasia, elle se pose au creux de ses reins.

Ils veulent du spectacle ? Ils vont en avoir !

– Ana ? Tourne-toi vers moi, s'il te plaît, murmuré-je.

Le bonbon bleu s'agite en réponse au mien qui palpite à m'en rendre aveugle.

Ma meilleure amie pose son front contre le mien, des questions sur ses magnifiques iris bleus. Et je souris comme une idiote. Les yeux bleus. C'est la seule chose qui me plaisait chez ce gros nul de Jordan. Pourtant ceux d'Anastasia sont tellement plus beaux, tellement plus vibrants.

Après avoir posé ses lunettes sur le banc, je me penche vers elle et j'attends de voir qu'elle a compris, qu'elle est d'accord. C'est son âme qui me répond avant même son petit hochement de tête. Et je comble les quelques centimètres qui nous séparent, fondant sur ses lèvres parfaites.

Plus rien ne compte autour de nous, pas les jérémiades outrées de la pimbêche de service, pas les moqueries endurées pendant des années, pas non plus le feu d'artifices de couleurs tout autour de nous. Non, il n'y a plus qu'elle et ce baiser timide qui mélange mon rose et son bleu, sa douceur et mon énergie, nos âmes.

Un Bleu à l'ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant