Aujourd'hui

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Le bleu pastel qui entoure Anastasia ne s'assombrit que quand elle se tourne vers moi, ce qu'elle évite de faire au maximum. Je ne peux pas dire que je lui en veux, mais en complète égoïste j'aurais voulu lui demander si elle percevait la même chose que moi, si c'était ça qu'elle essayait de me dire depuis tant d'années.

Je suis patiente. C'est pas grave. On se retrouvera au bon moment.

Pour l'instant, je suis privée de sortie et de téléphone pour un nombre de semaines indéfini, histoire que je n'oublie pas que j'ai merdé. Ça ne risque pas... Je me souviens parfaitement de mon père quand il a été obligé de lâcher son match de foot pour me récupérer sur le bord de la route en pleurs. Un orange presque marron dans tout l'habitacle, l'âme déformée par la colère.

Encore aujourd'hui, ma vision est un mélange de couleurs qui refuse de s'éteindre. Alors j'évite de lever les yeux de mes cahiers en classe, je reste enfermée dans les toilettes pendant la récré et je me calfeutre dans ma chambre une fois chez moi.

On ne va pas se cacher que la popularité attendra encore un peu.

C'est intimidant tout ça. Je vois les humeurs qui changent, l'intention des gens quand ils s'approchent de quelqu'un. Une fluctuation de couleur. Légère, à peine perceptible. Plus pâle avec l'inquiétude, plus vive avec les émotions fortes, assombrie en cas de peine ou de colère sourde.

En ce qui concerne mon âme, même si je la sens palpiter dans tout mon être, j'évite de la regarder. J'ai l'impression qu'elle essaie de me parler, qu'elle a sa propre volonté. Par exemple, chez moi, elle laisse son halo rose bonbon irradier tranquillement. Ça me donne l'impression d'être plongée dans un bac de barbe à papa. C'est doux, c'est chaud, ça me fait du bien.

Par contre, elle brille d'un éclat plus vif, tournant presque au fuchsia, dans les rares moments où Anastasia se trouve à côté de moi. C'est très perturbant. Ça fait plus d'une semaine maintenant et je ne m'y fais toujours pas. Ma meilleure amie me manque, c'est sûr, mais est-ce que ça veut dire autre chose ?

Là, on est à la fin du cours de français. La première guerre mondiale et les lettres de poilus. Autant dire qu'on s'est tous bien marré. Jordan, toujours d'un rouge couvert de culpabilité – je le vois parce qu'il y a des pois noirs quand il se tourne vers moi – prend son sac et marche dans ma direction. Je serre les dents pour contrer l'humiliation qui ne va pas manquer d'arriver.

– Salut. Marie, c'est ça ?

On ricane à côté de nous. Super. Et puis Jordan inspire un grand coup avant de se lancer.

– Je suis con, évidemment que t'es Marie. Écoute, je voulais te dire que j'étais désolé pour le week-end au lac. Je sais pas ce qui m'a pris... Je pense que j'ai voulu impressionner Méline, mais en fait ça en valait pas vraiment la peine. C'est pas moi qui l'intéresse, c'est juste mes résultats au foot.

Bouche bée, voilà ce que je suis. Sur mon putain de cul. Encore heureux que la chaise me supporte.

– Excuse acceptée.

Il respire enfin. Dire qu'il a failli s'étouffer pour me dire tout ça. Je ne suis même pas émue. Ça me passe complètement au-dessus. Mon bonbon rose ne lui fait pas confiance et j'ai envie de me fier à lui.

– Bon, je vais y aller. C'est gentil à toi d'être venu me parler, dis-je en remuant la tête.

Encore une habitude qui joue contre moi. Pas grave. De toute façon, au fond je les aime pas.

Un Bleu à l'ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant