Chapitre 2 - Partie 1/3

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Naomi était elle aussi venue à pied. Elle louait un petit appartement situé à deux rues du poste de police. Quand elle avait vu l'annonce, elle n'avait pas pu résister : l'endroit était proche de son futur lieu de travail, entièrement meublé et disposait même d'un balcon que la jeune fille avait déjà entrepris de décorer avec des fleurs multicolores. Elle leva le nez pour les observer quand elle et Adrien passèrent devant son immeuble pour se rendre au poste de police.

Adrien avait appelé l'analyste de la PJ pour obtenir l'adresse des parents de Lucinda. Ils n'habitaient pas la porte à côté et les deux nouveaux collègues avaient donc besoin d'une voiture. Le poste étant plus proche que la maison d'Adrien, ils décidèrent d'emprunter une voiture banalisée pour ne pas perdre de temps.

Alors que Naomi se dirigeait d'un pas décidé vers la maison des Fournier, ses longs cheveux noirs fouettant ses épaules, Adrien l'interpella.

- Naomi, attends !

- Qu'est-ce qu'il y a ? Ce n'est pas la bonne maison ?

- Si, si, mais on s'apprête à annoncer à des parents que leur fille a été assassinée... Laisse-moi parler s'il-te-plaît.

- Oh... D'accord. Je n'ai pas l'habitude, désolée.

Elle se mit de côté sur le chemin pavé menant à la maison afin qu'Adrien passe devant. Celui-ci vérifia l'heure sur sa montre avant de sonner à la porte. Il n'était que 8h. Il risqua un coup d'œil par la fenêtre et vit de la lumière dans la cuisine. Prenant une grande inspiration, il sonna. Annoncer à des parents qu'ils venaient de perdre leur enfant n'est jamais une chose facile. Jusqu'ici, Adrien n'avait dû le faire qu'à peu d'occasions, généralement pour des accidents de la route, et deux fois pour des bagarres ayant mal tourné, quand il travaillait à Saint-Gilles. Cette fois-ci, les circonstances étaient différentes. Et si les parents voulaient savoir ce qui était exactement arrivé à leur fille ? Leur devait-il la vérité ou devait-il les ménager ? Quand la porte s'ouvrit, Adrien n'avait toujours pas trouvé de réponse à cette question.

- Bonjour, je peux vous aider ? dit le vieil homme qui venait d'ouvrir la porte.

- Bonjour Monsieur Fournier, je suis l'inspecteur Bernard et voici l'inspectrice stagiaire Janssens. Nous aimerions vous parler, à vous et votre femme.

Une ombre passa sur le visage de l'homme qui, à la réflexion, ne semblait pas si vieux que cela. Il avait plutôt l'air malade.

- Entrez, entrez, mais... Vous n'allez pas pouvoir parler à ma femme. Elle est décédée il y a presque cinq ans.

- Oh... Excusez-moi, je ne savais pas.

- Vous savez, après autant de temps, ce genre de maladresse finit par faire sourire.

Adrien ne savait comment rebondir. Comment annoncer à cet homme veuf qu'il venait de perdre sa fille cinq ans après avoir perdu sa femme ? C'est Naomi qui le sortit de l'embarras en proposant de préparer du café pour tout le monde.

- Ce que nous avons à vous annoncer n'est pas facile, nous risquons d'en avoir pour un petit moment, alors autant faire ça autour d'un bon café.

Monsieur Fournier acquiesça et Naomi disparut dans la cuisine.

- Monsieur Fournier, commença Adrien, je suis désolé d'avoir à vous l'apprendre mais... Nous avons trouvé Lucinda dans un parc ce matin. Nous pensons que votre fille a été assassinée.

Le père parut d'abord ne pas comprendre. Il fixait l'inspecteur d'un regard vide, sans émotion. Ensuite, il vacilla. Adrien le retint par les épaules et le mena en silence vers le salon pour le faire assoir.

- Toutes mes condoléances, Monsieur Fournier.

- Est-ce que je vais devoir identifier son corps ? demanda abruptement le père.

Adrien ne répondit pas tout de suite. Il n'avait pas envisagé cette possibilité. Ce père accablé par le chagrin allait-il devoir faire face au spectacle du corps mutilé de sa fille ?

- Je n'en sais rien, je suis désolé. Je suis ici pour l'enquête. J'imagine que la morgue vous contactera à ce sujet.

Adrien regretta immédiatement ces mots. Parler de morgue ne faisait que rendre la chose plus réelle et plus... technique.

- Je vous promets que je vais faire tout mon possible pour retrouver le coupable, continua-t-il. Mais pour cela, j'ai besoin que vous répondiez à mes questions. J'ai besoin de connaître Lucinda.

- Je ferai tout ce que vous voulez. Ma femme avait un cancer, vous savez. Je n'ai pu blâmer personne. Personne ne me l'a enlevée, si ce n'est cette fichue maladie. Au moins, pour Lucinda, j'ai quelque chose à quoi me raccrocher. Peut-être que la colère annihilera le chagrin au moins pendant un temps.

Adrien fut surpris par la force de caractère de cet homme qui ne pleurait pas. Ses yeux étaient emplis d'une profonde tristesse, mais l'inspecteur se demanda si cela était dû à son annonce ou s'il en avait toujours été ainsi depuis la mort de la mère de Lucinda. En tout cas, cette lucidité et ce sang-froid dont faisait preuve son père ne pourraient être que bénéfiques pour l'enquête.

- Vous voulez peut-être rester seul quelques minutes ? Ma collègue et moi pouvons attendre dans la cuisine.

Le père garda le silence quelques secondes. Il baissa la tête pour que l'inspecteur ne voie pas ses yeux se remplir de larmes. Il prit une grande inspiration et décida qu'il devait se montrer fort pour sa fille. Il ferait tout pour que justice lui soit rendue.

- Non, ça ira. Je préfère répondre au plus vite à vos questions, pour que vous puissiez vous mettre au travail le plus vite possible.

- Bien, comme vous voudrez.

Adrien marqua une pause. Il n'osait pas débuter l'interrogatoire. Poser des questions personnelles à cet homme lui semblait tellement... incongru. Mais c'était son boulot. Il devait bien commencer quelque part alors il commença par une question factuelle, simple.

- Quand avez-vous vu Lucinda pour la dernière fois ?

- Hier matin, avant qu'elle ne parte en cours. Je ne me suis pas inquiété en ne la voyant pas ce matin. Elle devait sortir hier soir à une soirée étudiante et il lui arrive souvent de découcher dans ces cas-là.

Devant l'air surpris de l'inspecteur, le père se sentit obligé de se justifier.

- Vous savez, j'ai fait tout ce que j'ai pu avec elle. Ce n'est pas une jeune fille facile, surtout depuis le décès de sa mère... A ses dix-huit ans, elle a décidé que je n'avais plus rien à lui dire et qu'elle pouvait n'en faire qu'à sa tête. Alors, j'avoue, j'ai un peu abandonné... Tant que les résultats scolaires suivaient et qu'elle ne revenait pas enceinte, vous savez...

- Je comprends, le rassura Adrien, qui avait tout de même un peu de mal à comprendre. Quelle relation entretenait-elle avec sa mère ?

- Je ne vois pas trop en quoi cela peut vous aider dans votre enquête, répondit Monsieur Fournier, paraissant soudain agacé.

- Connaître Lucinda ne pourra que nous être utile, Monsieur.

L'homme parût alors se perdre dans ses souvenirs. 

Féminités [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant