Mémoires d'un malheureux

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Les familles heureuses se ressemblent toutes ; les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon.

Il faisait partie de ces familles malheureuses. Tout le monde le sait, et personne ne viendra me contredire, les Mangemorts ne sont pas heureux.

A part Bellatrix, à la limite. Mais cette folle à lier est à part.

Non, lui n'était définitivement pas heureux. Son passé lui a brisé son cœur, son présent lui a torturé l'âme, et son futur le tuera certainement. A moins que ce ne soit déjà en train de se produire.

Personne ne l'avait vu sourire. Personne. Jamais. Il avait ce visage neutre, impassible, sans émotion. Ses traits n'exprimaient ni joie, ni haine. Rien, un vide, un trou, une ombre. Aussi noir que sa cape, que ses vêtements habituels, que ses cheveux lisses et gras.

Beaucoup ne l'appréciaient point. Certains en tant que professeur, d'autres en tant qu'homme.

D'autres l'aimaient bien, sans plus, sans pour autant pouvoir l'expliquer clairement.

Il semblerait que le seul individu le connaissant mieux que personne, c'était Albus Dumbledore.

Peut-être Lilly Potter aussi, mais dans un passé qu'il a voulu effacer de sa mémoire infranchissable.

A la limite, mais en parlera-t-il plus sereinement dans le futur, Harry Potter, ce célèbre sorcier à lunettes et à la cicatrice laissé par le Seigneur des Ténèbres.

Non, actuellement Albus était bel et bien la personne qui connaissait le mieux Severus Rogue.





Severus faisait partie de cette famille de Mangemorts, ces mages noirs puissants, terrifiants, abominables (n'exagérons point tout de même...), au service du Seigneur des Ténèbres, que Bellatrix vénérait (elle était probablement la seule), l'immense Tom Jedusor, ou devrait-on plutôt dire, Lord Voldemort.

Il faisait également partie de cette grande famille de professeurs, car en effet, les professeurs sont comme une famille à part entière, sans quoi nos pauvres petits sorciers ne seraient pas aussi excellents ; fidèle au poste de professeur de Potions, et également l'année précédente en tant que professeur de Défense contre les Forces du Mal, poste qu'il a toujours souhaité avoir depuis son début en tant qu'enseignant, mais que Dumbledore lui a toujours refusé, probablement pour des raisons de sécurité (il savait d'ores et déjà qu'il était Mangemort). Toutefois il s'avérait être maître dans l'art et la manière de maîtriser les potions, aussi avait-il réécrit entièrement un manuel pendant sa scolarité.





Néanmoins (et Voldemort ne pourra le nier), Severus n'était heureux, ni en tant que professeur, ni en tant que Mangemort. Essayez par vous-même, d'obtenir le moindre soupçon de bonheur en torturant de pauvres âmes innocentes, tant Moldues que Sang-Mêlé soient-elles. Essayez de garder le sourire en répétant chaque jour, chaque année, toute votre vie, les mêmes choses à ces centaines d'élèves innocents et assoiffés de connaissances.

Peut-être serez-vous légèrement plus heureux avec l'une de ces deux familles, mais l'autre impossible (à moins que vous soyez descendant direct de Bellatrix Lestrange ou de Dolores Ombrage, voire de Voldemort).

Severus, lui, ne ressentait pas le moindre bonheur, aussi bien dans une famille que dans l'autre. Ce n'était pas le même mal-être, mais l'addition des deux le bouffait de l'intérieur.





Le bouffait de l'intérieur... Et de l'extérieur aussi. Du moins, Nagini était prête à le dévorer tout cru. Elle n'attendait que l'ordre de son maître.

Allongé au sol, dans la pire des postures, devant son Seigneur, il regardait ce dernier avec pitié. Il avait pitié, car il suppliait son Maître d'achever ses souffrances, profondes et invisibles. Il avait pitié, car il observait chaque jour le Lord faire le mal avec grand plaisir.

Comment peut-on être heureux en ne répandant que mort, torture, cadavres, sang, désolation ? Seule une âme déchirée, déjà avalée par la Mort même en est capable. Voldemort était de ses âmes déchirées, en Sept parties de plus. Cette âme ne pouvait être sauvée.

Et celle de Severus, en était-il de même ? Pouvait-on sauver une âme, dépourvue de sentiments, désenchantée, noyée dans la souffrance, alimentée par le mal-être ? Plus probable que de sauver une âme consumée par la haine, il n'en reste pas moins que le fait d'être malheureux peut ronger toute âme, moldue ou sorcière.



- Severus... Mon plus fidèle serviteur...

Il n'écouta point. Il observa plutôt au loin, le Trio d'Or qui arrivait pour le sauver, pensa-t-il.

Mais il ne voulait pas être sauvé. Un temps, il l'avait vaguement pensé, mais en se remémorant passé, présent, et en imaginant son futur, il préférerait qu'on lui ôte la vie.

Son passé... il ne pensait plus qu'à ça. Pouvoir revenir sur son passé, pouvoir la revoir. Le seul moment où il était heureux... enfin, heureux, c'est quelque chose de bien grand, quand il ne pouvait même pas accéder au bonheur, à cause de cette bande de brutes qui l'humiliaient... Ces Maraudeurs, toujours prêts à faire mumuse, à se moquer, à le pousser, à lui faire des crasses... Il leur en voulait. A cause d'eux, même aimer était devenu inaccessible pour lui.

Alors lorsqu'il apprit que la seule personne avec qui il voulait partager son cœur partit avec la personne qui lui a sans doute fait le plus de mal (le harcèlement scolaire vous marque à vie, même chez les sorciers)... son monde entier s'était écroulé autour de lui. Depuis ce jour, m'a confié Albus, il a cessé de sourire. Le bonheur avait quitté son corps.

Et lorsque ce soir d'octobre, il accouru chez les Potter, lorsqu'il vit le corps étendu de cette sorcière aux yeux émeraudes... A partir de ce soir-là, il devint définitivement malheureux. Son cœur ne fut dorénavant qu'un amas de poussière.





Tout défilait à vitesse grand V. Lorsque le Seigneur des ténèbres s'avança, il le supplia.

Quitte à être malheureux dans la vie, autant s'en aller, et être malheureux, mais aux côtés de celle qu'il a toujours aimé.

Nagini donna le coup de grâce. Il ne sentit presque rien. Sa vision commença à se troubler, il commença enfin à se libérer.

Harry accouru vers lui. Il n'entendit pas les paroles que ce jeune homme prononçait, tant il était aveuglé par son regard, le même que le sien. Le même que cette sublime femme.

Pour lui pardonner d'avoir été un odieux professeur, et pour que le sorcier à lunettes se souvienne de lui comme un homme bon, il se décida de lui dévoiler une partie de ses souvenirs. Après tout, il en avait plus besoin que lui à présent.

Puis, avant de fermer les yeux, il murmura doucement à celui qu'il avait tenté de protéger :

- Tu as les yeux de ta mère...

Et il s'en alla paisiblement, dans un rêve éveillé, pareil à nul autre, où son âme se reposera tranquillement.



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Lorsque ses yeux s'ouvrirent, il vit cette femme, qui semblait l'attendre, au pied de cet arbre qu'il connaissait si bien.

Il s'avança, s'assit avec elle dans l'herbe verte, et la contempla. Toujours aussi belle, se disait-il intérieurement.

Elle lui adressa un léger sourire, et il sentit son corps s'apaiser.

Pour la première fois depuis longtemps, il se mit à sourire. Pour la première fois depuis des décennies, il sembla enfin heureux.

Heureux ? Pouvait-il l'être ? Tant de choses l'avaient assombri...

Ou bien est-ce un heureux malheureux... Ou même un malheureux heureux ?



A vous de voir...

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