Chapitre 1

3 0 0
                                    

Analytique du BeauPage 29 sur 228PREMIÈRE SECTION [203]ANALYTIQUE DE LA FACULTÉ DE JUGER ESTHÉTIQUELIVRE IANALYTIQUE DU BEAU

Premier moment : du jugement de goût considéré selon la qualité
Paragraphe 1Le jugement de goût*est esthétique
Afin de distinguer si une chose est belle ou non, nous ne rapportons pas, via l'entendement, la représentation à l'objet, et cela en vue d'une connaissance, mais nous la rapportons, via l'imagination (éventuellement associée à l'entendement), au sujet et au sentiment de plaisir ou de peine que celui-ci éprouve. Le jugement de goût n'est donc point un jugement de connaissance ; par conséquent, ce n'est pointun jugement logique, mais c'est un jugement esthétique ; esthétique signifiant ce dont le principe déterminant ne peut être que subjectif. Tout rapport qu'entretiennent les représentations, y compris celui propre aux sensations, peut assurément être objectif (et dans ce cas il signifie ce qu'il y a de réel dans une représentation empirique) ; mais il n'en va pas de même pour le rapport [204] qu'elles sont susceptibles d'entretenir avec le sentiment de plaisir ou de peine, lequel ne désigne absolument rien dans l'objet, mais sur le fond duquel, au contraire, le sujet s'éprouve lui-même tel qu'il est affecté par la représentation.Saisir par sa faculté de connaître un édifice régulier et répondant à une finalité(que le mode de représentation en soit clair ou confus), c'est tout autre chose que de prendre conscience de cette représentation à partir de la sensation de satisfaction qui lui est associée. En cette dernière occurrence, la représentation est entièrement rapportée au sujet, et plus précisément au sentiment qu'il éprouve d'être vivant, que l'on exprime sous le nom de sentiment de plaisir ou de peine ; ce sentiment est aufondement d'une faculté tout à fait particulière de discerner et de juger, laquelle ne contribue en rien à la connaissance, mais se borne à rapprocher la représentationdonnée dans le sujet de toute la faculté de représentation dont l'esprit prend conscience dans le sentiment de son état. Des représentations données dans un jugement peuvent être empiriques (donc esthétiques), mais le jugement porté à partir de ces représentations est logique, dès lors qu'elles y sont rapportées à l'objet seul. Inversement, même si les représentations données étaient rationnelles, le jugement porté à partir d'elles serait alors toujours de type esthétique dès lors que, dans celuici, on les rapporterait purement et simplement au sujet (à son sentiment).

* La définition du goût qui sert de point de départ est la suivante : le goût est la faculté de juger le beau. L'analyse des jugements de goût doit dégager ce qui est requis pour qualifier un objet de beau. En suivant l'ordre des fonctions logiques du jugement, j'ai recherché les moments auxquels s'attache cette faculté de juger dans sa réflexion (en effet, et de surcroît, il y a toujours dans le jugement de goût, un rapport avec l'entendement) ; j'ai commencé par le moment logique de la qualité, parce que c'est celui que prend en compte en premier lieu le jugement esthétique sur le beau.

Paragraphe 2

La satisfaction qui détermine le jugement de goût est totalement désintéressée
On nomme intérêt la satisfaction que nous associons à la représentation de l'existence d'un objet. Une telle représentation se rapporte donc toujours en même temps à la faculté de désirer, que ladite faculté constitue le principe déterminant de ladite représentation ou bien qu'elle se rattache nécessairement à son principe déterminant. Mais dès lors que la question porte sur la beauté d'une chose, l'on ne veut pas savoir si nous-mêmes ou toute autre personne portons, ou même pourrions porter, quelque intérêt à l'existence de cette chose, mais on veut savoir quel jugement nous portons quand nous la contemplons tout simplement (dans l'intuition ou dans la réflexion). Si quelqu'un me demande si je trouve beau le palais que je vois devant moi, je peux certes répondre : je n'aime pas les choses de ce genre, qui sont faites uniquement pour être « zieutées », ou encore comme ce sachem iroquois,qui n'appréciait rien davantage dans Paris que les rôtisseries ; je peux bien encore déclamer, à la manière de Rousseau, contre la vanité des grands qui emploient la sueur du peuple pour des choses aussi superflues ; je peux [205] enfin très facilement me persuader que si je me trouvais dans une île inhabitée, sans espoir de jamais revenir chez les hommes et si, par mon simple souhait, je pouvais y transporter magiquement un tel somptueux palais, je n'en prendrais même pas la peine dès lors que je posséderais déjà une cabane suffisamment confortable pour moi. On peut m'accorder tout cela et l'approuver ; toutefois, là n'est pas, pour l'instant, la question. On désire uniquement savoir si la simple représentation de l'objet s'accompagne en moi de satisfaction, aussi indifférent que je puisse toujours être à l'existence de l'objet de cette représentation. On voit facilement que ce qui importe pour dire beau l'objet et prouver que j'ai du goût, c'est ce que je fais de cette représentation en moi-même, et non ce en quoi je dépends de l'existence duditobjet. Chacun doit convenir qu'un jugement sur la beauté dans lequel s'introduit un quelconque intérêt personnel, fut-il minime, est très partial et ne constitue pas un pur jugement de goût. Pour prétendre jouer le rôle de juge en matière de goût, il ne faut pas du tout se soucier de l'existence de la chose, mais être sous ce rapport entièrement indifférent.Cela étant, nous ne pouvons mieux commenter cette proposition, qui est d'une importance capitale, qu'en opposant à la satisfaction pure et désintéressée*inhérente au jugement de goût la satisfaction associée à l'intérêt, surtout quand nous pouvons en même temps être certains qu'il n'existe point d'autres espèces d'intérêt que celles que nous allons maintenant désigner.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Feb 17, 2022 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Critique faculté de jugerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant