Chapitre 6

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La foule du samedi matin nous avale, une fois sortis de l'immeuble délabré. Le centre-ville ne désemplit jamais le week-end. Et à un peu plus d'un mois de Noël, c'est encore pire.

— Alors, qu'est-ce que tu en penses ? m'interroges Bruno tout en enfilant ses gants.

Machinalement, je me saisis des poignées de son fauteuil et entreprend de le pousser vers la rue piétonne où je dois retrouver Théo.

— J'en pense qu'on vit dans une société vraiment merdique.

Mon ami passe une main dans ses longs cheveux blonds. L'électricité statique les accroche à ses doigts et les laisse dressés sur son crâne. Il ne dit pas un mot, le regard fixé droit devant. Je sais qu'il mettait beaucoup d'espoirs dans la visite de cet appart. Pour enfin pouvoir s'affranchir de ses parents. Retrouver une vie un tant soit peu autonome.

— Non, mais tu as vu cette cuisine ? Si on peut appeler ça une cuisine. C'est à la limite de l'insalubrité, je ne comprends même pas comment ils peuvent avoir le droit de louer ce genre de taudis. Surtout à un prix si exorbitant.

Nous nous arrêtons devant notre stand de café favoris. Je commande deux macchiatos et pose une main qui se veut rassurante sur l'épaule de mon ami.

— Tu finiras par trouver. Tu as d'autres pistes ?

Il soupire longuement.

— C'était le dernier des logements soi-disant accessible disponible dans cette ville. Je crois que Mamoune va encore devoir me supporter quelques mois de plus.

Un sentiment de colère et de peine mêlée s'ancre en moi. Ce gouvernement ne fait rien pour les personnes en situation de handicap malgré leurs grands discours. Entre les quotas de logements accessibles non respectés, et les loyers complètement prohibitifs pour des personnes dans ce genre de situation, les choix sont inexistants. Je revois Birdy, véritable Don Juan, se taper une fille différente chaque soir, maintenant réduit à devoir se conformer à une permission de minuit, forcé de prendre chaque repas à heure fixe, lui qui croquait la vie à pleines dents. Ça me file la gerbe.

— Si j'entends parler d'un truc, je te tiendrais au jus.

Il hoche lentement la tête en s'emparant de son breuvage et nous continuons notre chemin jusqu'à notre banc favori. Birdy s'installe à mes côtés, bloque son fauteuil, et nous admirons tous deux les péniches qui passent dans un balai incessant sur le fleuve. Le visage si jeune de Bruno ne se départit pas de son air sérieux. Ses yeux vairons se posent sur moi.

— Alors, tu as dit que tu ne voulais pas en parler au téléphone, ni à proximité d'oreilles indiscrètes. Tu vas me dire ce que te voulaient les flics, maintenant ?

Le nœud dans ma gorge se resserre encore. J'hume doucement l'arôme du café qui se dégage de mon gobelet, et passe ma paume réchauffée par la boisson sur mon visage. Elle n'a pas vraiment cessé de trembler depuis que je suis sorti du commissariat.

— C'était pas un accident, Bird.

Bruno recrache le café qu'il venait tout juste d'ingurgiter.

— Quoi ?

Je prends le temps d'inspirer longuement. Parce que le dire à voix haute le rend un peu plus réel chaque minute. Parce que je croyais avoir fait mon deuil, et que toute cette merde rouvre des blessures à peine cicatrisées.

— Il y a un témoin.

Je déglutis avant de poursuivre :

— Il dit avoir vu une camionnette pousser sciemment le SUV de Nath dans ce foutu ravin.

Dust And Dreams [Sous Contrat d'édition Hachette BMR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant