Chapitre 2

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Les vapeurs d'alcool et les odeurs de sueur et de friture m'accueillent lorsque je passe la porte du Devil's Lair. L'appréhension me serre la gorge : ça fait des mois que je n'ai pas mis les pieds dans ce taudis qui sert de repère à toute notre petite bande. L'éclairage tamisé donne une atmosphère chaleureuse aux tables et aux murs de bois. Dans un coin de la pièce, le juke-box vomit un morceau de rock vintage pendant que quelques barbus s'adonnent à une partie de fléchette à ses côtés. J'inspire à pleins poumons la puanteur des lieux : c'est fou ce qu'ils m'avaient manqué. Mais pas autant que les deux énergumènes se livrant à une partie de billard endiablée dans un concert de voix tout sauf discrètes. 

Les mâchoires d'une demi-douzaine de gars raclent le parquet en observant ma meilleure amie se cambrer au-dessus de la table pour viser. Pas de doute que c'est un autre type de queue qu'ils aimeraient qu'elle tienne entre ses doigts manucurés. Son pantalon en cuir moule ses fesses à la perfection, n'épargnant aucun détail de son anatomie aux mâles en pâmoison. Lorsqu'elle se redresse, elle rejette sa longue chevelure noire par-dessus son épaule et lance le poing en l'air. Ses nombreux piercings tintent dans le mouvement.

— Essaie de rattraper ça, mec !

Les yeux vairons de Bruno s'illuminent. Putain, j'aimerais qu'un jour quelqu'un me bouffe du regard de la même façon qu'il le fait à l'instant même. Avec un mélange de désir et d'admiration mêlés. Fati fait mine de ne pas s'en rendre compte et croise ses bras sur son opulente poitrine gainée de skaï. Mon meilleur pote pose sa canne de billard sur ses genoux faméliques pour déplacer son fauteuil roulant jusqu'au point stratégique qui lui permettra le meilleur angle. Mais avant même qu'il n'ait atteint sa destination, les yeux noirs lardés de khôl de Fati se posent sur moi.

— Regardez-moi qui voilà ! s'exclame-t-elle de sa voix rauque. Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas vu ton petit cul par ici, Luck.

Je prends le temps de faire glisser ma veste en cuir de mes épaules et de la poser religieusement sur une chaise attenante avant de la serrer dans mes bras. Son odeur de vanille emplit mes sens.

— Il va falloir que vous arrêtiez de m'appeler comme ça, il faut croire que ma chance à tournée ces derniers temps.

Fati me donne une claque sur les fesses en riant.

— Et que ton cul n'est plus si petit que ça, on dirait ! Va vraiment falloir que tu te remettes en selle, beau gosse, tu vas finir par t'empâter !

Bruno pose sa canne sur la table pour s'approcher de moi. Je me penche pour l'étreindre à son tour.

— Tu m'as manqué, mec, murmure-t-il des trémolos dans la voix.

Je le serre d'autant plus fort, me rendant compte que ma dernière remarque est particulièrement déplacée. Bien-sûr que j'ai de la chance : j'ai toujours l'usage de mes jambes, contrairement à lui. Mais Bruno, alias Birdy, n'est pas du genre à se plaindre. Encore moins à faire culpabiliser les autres.

— Tu me manques aussi, Bird.

Mes amis délaissent leur jeu pour s'installer à une table. Les mains aux ongles peinturlurés de noir de Fatima se posent sur ma cuisse.

— Alors, raconte ! Que nous vaut l'honneur de ta visite ?

J'étends mes jambes sous la table, insouciant au fait que cette position fait d'autant plus ressortir mon bide où se dessinait jadis une magnifique tablette de chocolat. Ces jours-ci, il est plutôt passé au stade brioche.

Je pousse un soupir. Il n'y a pas 36 façons d'annoncer ça, de toute façon.

— Je me suis fait virer.

Dust And Dreams [Sous Contrat d'édition Hachette BMR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant