Douze ans. Un âge innocent, mais qui commence à découvrir les problèmes des adultes. Pour mes douze ans, elle était revenue à la maison. Elle était restée dans cette chaise qui s'incline en arrière, avec des motifs vieillots d'olives sur fond jaune, les côtés et l'armature de la chaise étant verts. Elle était là, ses yeux bleus magnifiques pollués du même jaune que celui de la chaise. La maladie avait atteint son foie. Sa peau commençait également à revêtir cette couleur que je ne suis plus capable d'assimiler à autre chose que la maladie.
On dit que les yeux sont la porte de l'âme. J'espère ainsi, en ayant hérité de ses yeux, avoir une âme aussi belle que la sienne. J'aime peu de choses chez moi, mais j'aime mes yeux bleu ciel.
Je me sens enfermée à jamais, entre les quatre murs blancs tâchés de cette unité psychiatrique. Tout l'environnement hospitalier me rappelle ma mère. Les allers-retours à l'hôpital étaient nombreux entre les opérations, les chimiothérapies, les rayons... Sans oublier la pire partie : les soins palliatifs. L'être qui paraissait dormir paisiblement en permanence souffrait en réalité le martyr. Elle n'était plus que l'ombre de la femme incroyable qui m'avait donnée la vie.
Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour la serrer dans mes bras encore une fois... Les occupations que je peux avoir depuis deux semaines sont très limitées : dormir, manger, lire, écrire ou regarder la télévision. Je fais donc alternativement chacune de ces activités peu diversifiées.
« Reprendre la marche en considérant que ce qui reste à vivre est une chance véritable de faire de demain un meilleur qu'hier, qui n'effacera pas l'hier mais autorise les plu beaux présents », ai-je lu dans le livre d'Eric de Kermel que j'ai terminé hier ou avant-hier.
Les journées sont toutes les mêmes, l'ennui demeure et les nuits s'enchaînent. Je sais juste que je suis arrivée dans cette unité le 19 janvier 2022. D'après l'horloge en face de ma chambre nous sommes le 1er février et il est un peu moins de 10h. Je crois que nous sommes un mardi.
« A quoi ça sert d'avoir une situation, matérielle confortable, un métier prestigieux, un homme à son bras, si l'on n'est pas en paix » d'Eric de Kermel également, résume bien ma situation. J'ai de l'argent donc aucun soucis matériel, je suis dans la plus prestigieuse des écoles d'ingénieur agronome, j'ai un chéri malgré de récentes péripéties, et pourtant la mort m'obsède et m'attire. Je suis loin d'être en paix. Comment l'expliquer ? Je ne sais pas. Comment y remédier ? Si je le savais je ne serais pas là. En revanche, j'arrive à dater mes premières pensées suicidaires. En effet, elles sont apparues lorsque je découvrais l'amour aux côtés d'un certain Antoine. Ou en tout cas ce qui s'y apparentait fortement, selon votre définition de l'amour. Si on voulait attribuer un autre adjectif à cette relation on dirait « passionnée », au sens négatif du terme. Quand tout allait bien j'étais joyeuse, mais dès qu'un petit soucis venait effleurer notre couple il prenait des proportions gargantuesques. C'est à cette période de ma vie que j'ai commencé à faire des crises de tétanie et d'angoisse.
Je dormais peu et tombais lentement dans la cigarette et le cannabis. Aujourd'hui encore je ne comprends pas par quel miracle je ne suis pas fumeuse et comment mes résultats pouvaient rester aussi excellents. L'excellence faisait partie des choses qui me raccrochaient à la vie.
Je comprends à l'instant en écrivant ceci que ce pilier s'est effondré en classe préparatoire aux grandes écoles, ne laissant plus que deux fils me liant à la vie. Le premier est ma sœur, que je ne peux me permettre d'abandonner, le deuxième est le piano, que j'aime trop pour en être privée. Cela dit, en école d'ingénieur je ne cherche pas tant que ça à en jouer malgré la disponibilité de deux pianos. Les clés de la salle où ils se trouvent sont à notre disposition sous réserve d'aller les chercher à la loge.
Peut-être que l'école d'ingénieur a fait s'effondrer ce deuxième pilier ? Ma petite sœur représente-t-elle la dernière chose qui me permet d'écrire aujourd'hui ?
Pourtant, on ne se parle pas souvent. Mais je n'ai pas besoin de lui parler pour l'aimer de tout mon cœur, et d'être préoccupée quand mon père me dit qu'elle va mal.
Mon père... Nous avons lui et moi une relation particulière puisqu'aimante mais sans complicité. Tout à la maison revêt une gravité qui ne devrait pas avoir lieu d'être. Au moins, mon séjour ici aura permis de lui partager cette pensée. Et il m'a indiqué que ces traits de caractère étaient intrinsèques à sa personnalité, impossibles à changer. Je pense quant à moi que tout le monde peut changer, ce qui m'attriste puisque cette pensée est non partagée.
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Le chant des oiseaux
Ficção GeralBienvenue dans ma tête. Désolée, c'est pas très bien rangé, je suis un peu bordélique... Quoi cet épisode là ? Celui où je suis restée un mois en hôpital psychiatrique ? Oui j'ai écrit. Tu veux connaître cette histoire ? Bon ok. Mais accroche toi bi...