Chapitre 0 · Ainsi le calvaire débute

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Un bourdonnement incessant des néons d'un blanc agressif, de la moquette humide et nauséabonde au sol, une tapisserie jaunâtre sur les murs. Quatorze heures. Il est quatorze heures quand tout cela commence. Il ne sait pas où il se situe. Il tremble. De froid ? De peur ? Il ne pourrait pas vraiment le décrire. La seule chose à laquelle il pense réellement est : «Comment ai-je fait pour atterrir dans un endroit pareil ?!». Tout ce dont il se souvient était il y a quelques minutes, quand la faim commençait à l'envahir, parce que midi était déjà passé depuis un bon instant, et que sa mère l'appelait pour manger :

- Allan ! Viens à table, c'est prêt !
- Oui, maman, j'arrive !
- Viens vite, ça va refroidir. On profitera d'ailleurs que tu sois enfin descendu pour choisir ce que tu veux pour tes dix-sept ans.

Sur ces mots, il quitta son lit, et descendit les escaliers. Par inadvertance, rivé sur son téléphone, il trébucha. Allan ne sait pas à quel moment il est parvenu jusqu'ici, mais c'est sans aucun doute le fait de tomber qui l'ait provoqué.

Et voici l'adolescent dans ce lieu étrange. «Y'a quelqu'un ?!», hurle Allan, de détresse. Il commence à paniquer, son pouls s'accélère, il est perdu et ne sait pas quoi faire. C'est alors que lui parvient la lucidité d'utiliser son téléphone encore présent dans sa poche. Il le saisit et remarque que le réseau est absent. Peine perdue, il s'empresse d'ouvrir l'application "téléphone" et appelle sa mère. En vain. Allan se retrouve alors dans un état de solitude intense et décide finalement de se relever.

Puis, il se met à marcher. Il se dit que, heureusement, il ne s'est rien cassé en chutant et ne boite pas. Enfin, il se met à en rire, mais en réalité, Allan est complètement terrifié. Il ne sait pas durant combien de temps il va rester ici. Peut-être n'est-ce qu'un mauvais rêve, auquel cas il se réveillera dans assez peu de temps ; ou alors est-il bel et bien dans la réalité, auquel cas la survie et l'échappatoire semblent être les seules solutions ?

Il marche, il marche, encore et encore dans ces locaux semblants infinis. Cela fait une demi-heure maintenant, et Allan commence à fatiguer.

Ici, mis à part le grésillement du système d'éclairage, le silence règne. De plus, l'isolation à la civilisation humaine a de quoi rendre fou l'adolescent. Mais la solitude n'est pas le seul facteur. L'architecture du lieu y participe également. Tout ce dont on peut trouver en cet espace est un sol, un faux plafond, ainsi que des murs disposés, aléatoirement, sur une distance indéfinie.

Afin de tenter de pallier ces problèmes, il se met à crier, confiant, dans le but d'attirer l'attention de n'importe quel être humain qui pourrait passer par ici, et ce durant de nombreuses minutes, en se pavanant sur des centaines de mètres. «Qui est là ?!» ; «Sortez, je sais que vous êtes là !» ; «Eh oh !», toutes expressions y passent. Allan ne passe clairement pas inaperçu, et semble être décidé à ne pas s'arrêter tant que personne ne lui réponde.

Chose promise, chose due. Allan ne se sent plus seul désormais. Un son intrigant et lointain attire son attention. Allan se tait, s'arrête, et fait le moins de bruit possible afin de mieux distinguer ce qu'il entend. Ce son, il ne l'avait jamais entendu auparavant. Il est agressif et métallique, comme un bruit étouffé de quelques êtres vivants hurlant de souffrance. Mais Allan a peur, car ce bruit n'a rien de rassurant. De plus, il se rapproche de plus en plus, devenant de plus en plus agressif et de plus en plus fort. L'adolescent décide alors de quitter les lieux étant donné que le son semble être à moins de cinquante mètres désormais. Mais il est déjà trop tard.

Derrière lui, Allan voit ce qui est sans aucun doute la créature la plus effrayante qu'il ait vue de sa vie. Bien qu'elle soit aussi la seule. Elle est grande, fine, et désarticulée. On aurait dit que seul un ingénieur fou aurait pu la créer à l'aide de fils sombres et de longues barres noires. Un moniteur éteint à tubes cathodiques compose ce qui paraît être sa tête, ôtée de tout œil, nez, bouche ou quelconque autre élément qui pourrait rappeler l'être humain. Seule sa forme globale ressemble à l'Homme, et encore : la sensation d'effroi que dégage cette chose a pour effet l'amnésie de ce concept.

Désormais, Allan est une proie. L'Homme en est rarement une, et pour cause : sa capacité à faire fuir les autres êtres est effrayante. L'Homme dévaste massivement, que ce qu'il élimine soit imposant ou vulnérable. C'est sans doute pour cette raison que n'importe quel être vivant sensé ne risque ne serait-ce que d'approcher l'être humain. Cependant, ce ne sont pas les humains eux-mêmes, individuellement, qui effraient, mais leur ensemble. Leur tout. En formant un élément destructeur puissant, un système complexe, qui repousserait le Terrien le plus brave.
En outre, l'Homme est toxique, et l'humain est vulnérable. Et Allan n'est plus qu'un humain, ce qui le positionne dans une situation des plus dangereuses.

Sans hésitation, il se met à courir. Même un guépard ne serait apte à le rattraper.
C'est en sprintant qu'Allan se rend compte que, bien que la moquette dégage une odeur repoussante, elle parvient à étouffer de manière efficace le son des pas, ce qui est un atout ainsi qu'un inconvénient. Premièrement, cela rend l'adolescent plus discret. Secondement, cela rend toute créature potentielle plus discrète.
Quant à l'atrocité qui poursuit Allan, elle est assez rapide pour imposer autour d'elle une pression telle que les êtres les plus fragiles subiraient soit un arrêt cardiaque soit une paralysie meurtrière. Cependant, elle est aussi assez lente pour que les personnes ayant un minimum d'instinct de survie puissent se déplacer à une allure suffisante pour semer la créature. Allan fait partie de la seconde catégorie.
Il parvient à distancer le monstre, avec peine tout de même, grâce à la stratégie qu'il a adopté, similaire à celle d'un lapin sauvage fuyant un loup solitaire. Il ne garde jamais la même direction. S'il lui vient l'occasion de tourner à droite, il tourne à gauche. S'il lui vient l'occasion de tourner à gauche, il fait mine de tourner à droite, mais continue tout droit. Et cette technique porte ses fruits : la distance entre l'atrocité et l'adolescent se voit augmenter au fil du temps. Si bien qu'après d'interminables minutes de course intensive, le cri de la bête ne devient plus que le seul élément qui lie cette dernière à Allan. Puis, le son devient lointain. Ensuite, les néons grésillants reprennent le dessus.

Allan trouve des murs formant un coin discret, et décide de s'y assoir, action qu'il réalise sans perdre de temps. Suant, les pieds et fesses à terre, les genoux masquant son visage tétanisé, ses mains agrippant ses cheveux, il pleure. Il en a déjà marre. Il ne sait pas pourquoi tout cela lui arrive. Il aimerait seulement manger ce que sa mère lui a préparé et discuter avec elle en riant, en parlant de n'importe quoi. Mais au-lieu de cela il a fallu qu'Allan tombe bêtement dans des escaliers et qu'une créature lui veuille sa mort.

Un généreux quart d'heure plus tard, il décide de continuer l'exploration inachevée des lieux. Il regarde sa montre : il est quinze heures et sept minutes. L'heure à laquelle il vient d'assister ici est l'heure la plus lente et terrorisante qu'Allan ait subi. Et l'idée de se faire pourchasser de nouveau ne fait qu'amplifier ses peurs.
C'est alors qu'il prend conscience d'un élément inhabituel. Après tout ce temps passé en ces endroits, Allan remarque en marchant qu'un des murs est plus foncé que les autres. Rien n'est alarmiste de prime abord, mais en réfléchissant, il se dit que ce mur plus sombre n'est pas seulement "plus sombre". Il peut être autre chose encore. Et pour savoir ce dont il s'agit, il s'approche et pose doucement sa main sur le mur. Allan avait raison : c'est inhabituel. Sa main parvient à traverser la cloison. Il n'en revient pas. Donc, il décide de passer la tête, mais ne voit rien.

Un choix le tracasse alors. Doit-il traverser, ou doit-il rester ici ? Dans son esprit, le pour et le contre prennent part.
D'un côté, rester ici le priverait d'eau, de nourriture. Or, Allan est assoiffé. Aussi, il a le ventre vide. D'un autre côté, il pourrait rentrer chez lui, ou bien atterrir au sein d'un lieu nouveau. De plus, en quoi ce potentiel nouvel endroit pourrait-il être pire que là où l'adolescent a passé sa dernière heure ? Alors, le choix est fait pour Allan. Sans hésiter, il vérifie que toutes ses affaires soient bien présentes sur lui, et il plonge.

En traversant, il tombe. Il lève par la suite la tête et aperçoit non pas son doux foyer chaleureux dont il rêve tant, mais un nouvel endroit.

Allan est inquiété. Il semble bien que la survie et l'échappatoire semblent être les seules solutions.

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