Inspecteur

22 1 2
                                    

Février 1968, six heures du matin au fin fond d'un village de la Loire. L'inspecteur Jacques Bragali s'afférait à chercher au milieu du foin le moindre détail qui aurait pu être manqué.

« Putain ! T'y crois ça ? Un dimanche matin à fouiller dans la bouse de vache. Je n'ai pas autre chose à foutre de ma vie moi tiens ! »

Comme d'habitude, son collègue, l'inspecteur Thomas Roche, était en train de se plaindre. Jacques lui reconnaissait bien ça, il avait autre chose à foutre à cette heure-là. Bobonne et les quatre mioches qui l'attendaient à la maison devaient être impatient à l'idée de revoir leur cher et tendre alcoolique.

« Ferme là un peu Roche. Une gamine est morte, ai un minimum de respect. »

A l'extérieur de l'étable la mère de la jeune fille qui avait été retrouvée étranglé à mort avec un fil de barbelé hurlaient son désespoir. Personne ne pouvait rester insensible face à la détresse d'une mère. Le père, quant à lui, était affable, choqué, il ne semblait pas encore réaliser. Assis sur une chaise contre le mur de son étable, il regardait dans le vide sans mot dire, personne n'osait venir le déranger.

« Excuse-moi Jacques, mais tu vois ce que je veux dire... Bien sûr que je veux retrouver le fils de pute qui a fait ça. Mais voilà quoi, pas facile de chercher des indices au milieu de la paille et du purin.

- Ce n'est pas mon problème, fais ton boulot. Si tu n'as pas envie de te salir les mains, va donc voir la génisse affolée là-bas. Je crois bien avoir vu une entaille sur son flanc. Ça pourrait bien correspondre à notre barbelé. »

Jacques en profita pour s'allumer une cigarette. Quitte à patauger dans la merde autant changer l'odeur.

D'après le témoignage du père la môme avait pour habitude de venir jouer dans l'étable après le diner. Pendant ce temps-là, lui s'afférait à refaire ses enclos jusqu'à tard dans la nuit. La mère, quant à elle, s'occupait du logis, elle se serait assoupi de fatigue vers vingt et une heure trente en oubliant d'aller la coucher.

Le père l'avait alors retrouvé là, au milieu des bêtes, allongé dans la paille comme si elle faisait simplement la sieste. Si on arrivait à faire abstraction des multiples contusions noirâtres et des griffures parsemé un peu partout sur son corps, son visage paraissait presque apaisé.

Jacques n'avait pas d'enfant. Il vivait seul à Lyon, pas de femme, pas de famille proche. Sa vie, c'était son travail. Il fut un temps où il avait été le plus jeune inspecteur de police de France. Promis à un brillant avenir, il n'avait cessé de grimper les échelons. Déjà pendant son service militaire, il s'était démarqué. Le meilleur de ses conscrits, physiquement, intellectuellement, socialement. Ses adjudants l'adoraient et il était même beau garçon en plus de ça. Toutes ces réussites avaient bien sûr fait des jaloux, alors quand il avait intégré le commissariat du quatrième arrondissement avec son titre de plus jeune inspecteur du pays, on peut dire qu'il s'était fait bizuter.

Enfin, c'était une autre époque, cela faisait bien vingt ans qu'il stagnait à ce même commissariat, ce même poste, cette même routine, ce même partenaire. Depuis le temps, Jacques avait perdu de sa superbe. Il avait pris du poids, il n'était plus aussi déterminé qu'il avait pu l'être. Cette vie de désillusion l'avait rendu aigri.

Bien sûr, il avait aussi fallu que son coéquipier soit un sombre ivrogne incapable d'effectuer son travail d'inspecteur correctement. Toujours, il lui traînait dans les pattes, il le ralentissait. Jacques soupçonnait même la hiérarchie de lui avoir refilé cet incapable à dessein.

Rêves Où les histoires vivent. Découvrez maintenant