L'amour végétal

Untitled Part 3

Trois jours plus tard, Solène a prévu de passer l'après-midi chez Mathieu. C'est que le garçon fait office de gardiennage pour chat, dépannant ainsi une amie partie en vacances. Il faut qu'il se l'avoue, Mathieu est gaga de ce chat depuis que cette bestiole aux longs poils blancs et aux yeux bleus de biche a posé la patte chez lui. Avachis dans le canapé du salon, ils rient encore de leur aventure au Bariolé. C'est évident que lorsqu'une soirée dérape des bienséances, les souvenirs qu'on en a créé dépassent l'entendement.

Non mais tu vois encore la tête que faisait Loïc à notre départ, l'homme semblait abandonné tel un ours polaire sur son flanc de banquise enlisé par les flots. Mathieu se tient les côtes des deux bras, ses coudes entourant son propre torse. Il revoit la tête de l'énergumène qui ne cessait plus de leur servir des verres de limoncello en digestif, pensant les saouler à petit feu tandis qu'il perdait lui-même le fil de ce qu'il racontait.

Solène n'écoute son compagnon que d'une oreille. L'attention de la jeune femme est absorbée par la présence de la chatte qui se déplace comme chez elle, frôlant les rideaux pour coller son museau à la fenêtre de l'appartement. Vue sur la rue en contrebas, la large baie-vitrée du salon donne tout le loisir à l'animal de tourner comme si elle tournait en cage pour suivre les allées et venues des voitures et passants, se dandinant d'une patte sur l'autre au passage de l'appuie de fenêtre.

Combien de temps reste-elle en pension chez toi, questionne Solène en montrant la chatte du menton ?

Mathieu s'étend et s'étire de tout son long, allongeant son dos au maximum pour se nourrir de tout l'air qui lui manquait deux minutes plus tôt, pris comme il l'était dans son fou rire. La présence de la jolie brune à ses côtés, si proche, le taraude un peu. Il se sent rougir et réagir comme un gamin. Il se giflerait presque de ne pas se comporter en adulte. L'évocation de la chatte le ramène dans la réalité du présent. Il en profite pour questionner Solène dont il a cru comprendre l'amour qu'elle porte aux animaux.

A quoi ressemble une journée dans un refuge ? N'as-tu pas trop à cœur de quitter ces animaux chaque soir ?

C'est incroyable à quel point les animaux ressentent notre amour tu sais. Prendre soin de ces bêtes m'importe plus que tout au monde. Ils sont inoffensifs et ne peuvent malheureusement se protéger des hommes ou d'autres dangers autrement que par nous.

Tandis qu'elle s'exprime, le visage de la jeune fille s'anime, il capte la lumière, il se fait doux, dès l'instant où elle évoque les animaux, plus dur et sévère quand elle parle de les protéger. Elle avait repris de la hauteur, agitant les bras et la chatte a de suite été attirée, renifle les maintenant les cheveux de Solène, qui adossée au coude du fauteuil a fixé ses prunelles dans celles de Mathieu qui est comme hypnotisé. Il voudrait se perdre et lâcher prise, plonger dans ces bras qui entourent maintenant le sacré de Birmanie qui leur tient compagnie. Ce que cela prend comme place ces animaux.

Tu sais, je ne mange plus de produits animaliers par choix. J'ai décidé en mon âme et conscience qu'il ne m'était plus soutenable de me nourrir d'animaux que j'aime trop. Les voir ou même les savoir souffrir m'emplit d'effroi. Je n'ai pas besoin de regarder ces vidéos d'horreurs qui circulent dans les médias et sur les réseaux, je sais ce qu'il advient d'eux. J'ai réalisé que je peux amplement me nourrir et subvenir à mes besoins alimentaires au travers d'alternatives. Même en tant que sportive. Sais-tu que mes performances sportives se sont développées peu à peu tandis que j'avais réduit toute substance animalière de mon assiette ? C'est plus qu'un crédo, j'aime les animaux mais par-dessus tout, j'aime leur apporter mon amour et mon soutien. Nous voir se nourrir de leur chair m'est insupportable.

Mathieu n'ose plus piper mot. Il a presque envie de se cacher. Bien sûr, il est fier des valeurs que prône Solène, il est conscient intérieurement de leur bien-fondé. Toutefois, il ne peut s'empêcher de ressentir de la culpabilité. Il aime manger, elle a dû s'en rendre compte depuis leurs premiers moments ensemble. Il n'avait jamais pensé avoir à se cacher de ça - il avait pensé qu'elle aimait la nourriture autant que lui, lorsqu'elle lui disait passer beaucoup de temps dans les restaurants.

A présent qu'elle lui a lâché sa diatribe, il se sent penaud et réfléchit à toute vitesse à ce qui compose les plaques de son frigo. En grand analyste qu'il est, son cerveau s'est déjà lancé à la poursuite de calculs indiscutables.

Solène, elle, réalise qu'elle s'est peut-être emballée. Elle a dû lui faire peur. Ce n'était pas le but et après tout, s'il pouvait modifier ses habitudes alimentaires, il n'en ressortirait que gagnant pense-t-elle en son for intérieur.