CHAPITRE UN

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-_Une gamine aveugle_-

Sera, ce nom ne reste pas, vous l'oublierez surement, tout comme la personne qui va avec. Sera, c'est moi, une fille que l'on oublie, une fille triste de sa misère. Même mes yeux ont cessé de voir la cruauté du monde, me laissant seule dans le noir, le gris, le blanc, l'anthracite et toutes ces nuances d'incolore. Ils ont oublié mon existence sans-doute, peut-être qu'ils se rappellent chaque jour les larmes qui roulaient sur mes joues à chaque personne qui m'oubliait, peut-être se rappellent-ils ces paysages et cette couleur, celle du ciel. Le ciel que je ne vois plus et dont j'oublie souvent la couleur, je fais tout pour m'en souvenir, mais dans cette éternelle tristesse incolore, il est difficile de se remémorer la joie.

Je marche, encore et encore, accrochée à une rampe de fer. Je marche d'un pas mal assuré dans cette ville au bord de la falaise, il parait qu'il y a une belle vue sur le ciel. J'ai un caillou dans la chaussure. Il me fait un peu boiter, j'ai l'impression qu'il gonfle. Je continue tout de même ma marche vers mon logis, ce caillou n'est pas un caillou ordinaire, c'est une pierre, un roc acéré, qui me rentre douloureusement dans la plante du pied, à chaque pas. Je trébuche sur un pavé déchaussé et m'écrase de tout mon long dans la rue. Je crie à l'aide, mais nul ne vient pour me sauver. Je touche mes jambes pour savoir si je me suis coupée ou autre, il n'y a rien de bien flagrant. Je fais courir mes doigts le long de ma cheville et bute contre ma chaussure, je répète le manège de l'autre côté et passe à mes bras, lentement pour n'oublier aucun détail et ne passer à côté d'aucune plaie. Je pense que je vais bien, alors je m'appuie sur le sol et constate qu'il est poisseux. Je renifle, du sang ? Me serais-je finalement blessée ? Je n'ai pas le temps de m'appesantir sur la question car je sombre dans un voile étrange. Je ne sens plus rien. Je reconnais cette sensation, je me suis évanouie une fois encore.

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_Un taré suicidaire_-

Ame, ce nom signifie pluie, mais mes yeux n'attirent que le soleil. On me pourchasse pour ce "précieux pouvoir", pour moi ce n'est qu'une malédiction. Je ne peux tout simplement pas profiter du bruit de la pluie, de son odeur d'humidité ou même de son contact. Sur mon passage, tout devient chaud et sec, effroyablement ensoleillé. Je n'ai jamais vu la pluie, pas même en photo ou vidéo, dans les films les scènes se changent et je suis interdit de cinéma. Les photos deviennent radieuses, les vidéos illuminées. J'en ai marre de vivre dans la rue et de toujours changer de ville, je fuis. J'ai peur, car on ne m'oublie jamais, on n'oublie jamais mon regard d'or et ce soleil qui me pourchasse. On n'oublie jamais mes larmes de lumière qui surviennent lorsque l'on ne me traite que comme un monstre ou un dieu au lieu d'un être humain. Ce sentiment atroce d'être différent et de n'inspirer que la peur, certes parfois camouflée sous un masque de respect, d'indifférence ou de haine, cette peur qui vous prend au ventre face à l'inconnu, face au différent. Cette peur que chacun a un jour éprouvé envers moi, ce sentiment ignoble, me poursuit encore et encore, tous ont peur pour une raison stupide. Je le sais, que cette peur n'est pas justifiée, et pourtant parfois, je me trouve monstrueux. Un monstre qui génère des sécheresses, qui attire les emmerdes et qui passe plus de temps à fuir qu'à vivre une vie normale.

Je fixe cette lame, dans ma main, luisante de mes larmes et du reflet de la Lune. Bientôt elle luira de mon sang. . . Je dresse lentement le poignard vers mon œil, car je ne veux plus voir ce soleil nocturne qu'est la Lune. J'enfonce rapidement l'arme dans mon orbite. Un cri s'échappe de mes lèvres. Je maitrise péniblement les tremblements de ma main et crève mon autre œil, encore un cri, j'entends des pas venir vers moi. Je baisse lentement ma main et tranche une veine jugulaire sur le côté de mon cou. Je sens le sang couler le long de l'arête de mon nez, je le sens aussi imprégner lentement ma chemise. Je me sens vaciller, je m'emplis d'un sentiment de liberté. J'aurais juste aimé connaître la pluie.

Ciel d'EspoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant