Abidjan Années 60

14 1 0
                                    

Abidjan années '50 '60
(Je vous invite à consulter Wikipédia pour les noms des villes et autres mots qui vous intriguent)
Mes parents avaient été chassés de la Palestine à la fin de la guerre par les Juifs qui voulaient en faire leur patrie: Israël.
D'abord ils avaient émigré au Liban dans des camps de réfugiés comme les tristement célèbres Sabra et Chatilla, puis, pour vivre en liberté, ils sont partis dans le nouvel El Dorado de l'époque: l'Afrique Occidentale, en l'occurrence la Côte d'Ivoire où tout le pays était en balbutiement de constructions modernes avec aussi le commerce à l'exportation du café et du bois.
D'abord un village Dimbokro où ils exploitaient des plantations de café, puis une opportunité s'est présentée à mon père par un ami Libanais qui lui proposait de s'associer pour construire un hôtel face à la gare RAN : Rail-Abidjan-Niger à Abidjan, quartier de Treichville.
Mon père accepta.
Ma sœur aînée est née à Abengourou, Moi, après elle, je ne sais comment, peut-être pendant un voyage pour revoir la famille, je suis né au Liban, ma sœur après moi est née à Dimbokro, celle d'après à Abidjan, et la plus jeune à Casablanca au Maroc, mais on ne parlera pas d'elle(s).
Nous voici donc à Abidjan pour la construction de l'hôtel Terminus, ainsi nommé du fait qu'il était situé juste en face de la gare. En parallèle, mon père a contracté un accord avec une femme Africaine très riche, pour lui construire une villa, un peu en dehors du centre ville d'Abidjan, et le pacte était qu'au lieu d'être payé, nous l'habiterions je crois cinq ans, à moins que ce soit dix ans, je ne me souviens plus. La villa était située dans le quartier Zône 4 C.
Nous avons fait l'inauguration de cette villa. Ma mère avait invité tout le personnel de l'Ambassade Américaine avec pour thème "ShipWreck-Party": sur un paquebot, pendant une croisière, les passagers font un bal costumé; et le paquebot fait naufrage, et les invités devaient venir dans les costumes qu'ils étaient supposés avoir au moment du naufrage. Mon père avait fait venir un boucher Éthiopien, pour faire un méchoui à la broche d'un mouton entier. Sous le manguier énorme, central du jardin, dont les branches avaient des ampoules électriques de toutes les couleurs. Il y avait un orchestre ivoirien et beaucoup de danses.
C'était une belle et grande villa, toute climatisée, et nous y avions un gardien Mossi : de la Haute Volta à l'époque, devenue Burkina Faso, il avait sa cabane dans le jardin, il s'occupait des fleurs, bougainvilliers, et autres et des arbres, manguiers, bananiers, papayers, goyaviers, et aussi un boy Baoulé, pour le ménage et le repassage.
Nous avions une grosse Plymouth que mon père prenait chaque matin pour aller sur le chantier de l'hôtel.
Puis vint l'inauguration de l'hôtel, étaient présents des Ministres Ivoiriens et des Ambassadeurs Occidentaux.
Puis nous avons quitté la villa de Zône 4 C et sommes venus habiter un hôtel particulier, juste à côte de l'hôtel Terminus à Treichville.
C'était super, le port commercial était proche et nous recevions des marins du monde entier, notamment Asiatiques: Chinois je pense.
Treichville : c'est le Pigalle d'Abidjan.
Des bars, des Putes Ghanéennes (du Ghana) appréciées pour leur connaissance de l'Anglais et leur teint clair.
C'est avec une d'elles que j'ai perdu mon pucelage. Tant mieux: je m'en souviens encore aujourd'hui, je me souviens même de sa petite chambre éclairée par une lampe rouge, la tiédeur de son ventre sous le pagne, je me souviens même de son odeur de parfum capiteux. Beau souvenir, inoubliable: la Première Fois: First Time !!!
"ANI SOGOMA" cela signifie Salutations ou Bonjour en Wolof, la langue du Sénégal, mais tous l'utilisent, autant les Baoulés de Côté d'Ivoire que les Mossi du Burkina Faso...
C'est le premier mot que j'ai appris et dont je me servais pour draguer. Les autres mots sont des insultes, que bien sûr je ne donne pas ici.
Il y avait, en plus des marins comme clients de l'hôtel, des riches commerçants: Libanais, Sénégalais, Maliens, et.... Ce qui m'intéressait plus, de riches Femmes, elles aussi Sénégalaises et Maliennes qui prenaient une chambre seules...
Mais, elles étaient coquines, elles téléphonaient de leur chambre bien climatisée au standard pour commander une boisson, en général un Coca-Cola, jamais d'alcool, étant Musulmanes, et elles précisaient: dites au petit-blanc, au Toubab, de me la monter. Le petit-blanc, le Toubab, c'était moi, j'avais alors 14 ou 15 ans et une libido insatiable... Alors je montais la boisson, elle me disait de rester un peu, partager la boisson avec elle, et bien sûr, on ne partageait pas que la boisson... Je ne vous fait pas un dessin...

Sidi & Mon Business :
On avait un client permanent, ou quasi-permanent, à l'hôtel, il avait sa chambre réservée, et ne s'absentait qu'une semaine en début de mois, pour prendre le train en première classe et aller je ne sais où... C'était un Sénégalais, musulman, qui s'appellait Sidi, très pieux, qui se rendait à la mosquée de Treichville aux heures de prières, et ensuite revenait s'installer à sa table réservée au bar de l'hôtel, où il sirotait lentement un jus de fruits...
Plusieurs jeunes africains travaillaient pour lui: ils avaient une belle caisse avec plusieurs tiroirs: il y avait des cireurs de chaussures, des vendeurs de cigarettes et d'autres qui avaient un chariot roulant avec une caisse étanche qui contenait une grande brique de glace et des boissons fraîches...
Moi, il m'a flatté car j'étais débrouillard, et que j'aimais Allah, et il m'a embauché pour vendre des cigarettes, des chewing-gums et des allumettes : je les vendais à l'unité, on pouvait m'acheter une seule cigarette ou deux ou trois, et de même pour les chewing-gums, j'ouvrais le paquet et servais ce que l'acheteur me demandait. Au début, je me suis installé sur le porche de l'hôtel, mon père n'a rien dit, mais alors ma mère a fait tout un scandale, alors Sidi, mon patron m'a fait installer devant un bar "Le Toucan" à quelques rues derrière, toujours à Treichville, mais ma mère ne m'y voyait plus.
Le business était simple, je travaillais quand j'avais le temps, après mes cours du collège professionnel où j'apprenais la mécanique.
Et, chaque soir, quand je décidais d'arrêter mon business, je comptais ma caisse, rangeais tout, et donnais à Sidi, exactement le tiers de ma recette, le second tiers c'était pour ré-approvisionner et le troisième tiers était mon salaire...
Entre le salaire de mon business et les pourboires que me donnaient les Femmes auxquelles je montais un Coca-Cola, j'arrivais à me constituer un pécule pour sortir avec des filles et des amis pour aller à la plage, à la piscine, au cinéma et acheter des munitions pour ma Carabine El Gamo...
Eh oui, j'allais à la chasse aussi, avec ma bicyclette, je sortais d'Abidjan avec ma Carabine en bandoulière, et me rendais dans des brousses et marécages où je châssis des Kotokolis: gros oiseaux noirs, des pigeons verts et des pintades sauvages que je ramenais et grillais moi-même et les partageais avec mon père et mes sœurs, ma mère en avait horreur...

Il faut décrire l'hôtel : trois étages, dix chambres par étage, sans ascenseur, au rez-de-chaussée : l'accueil faisait face à la porte principale, il avait un standard téléphonique et une caisse enregistreuse, à gauche il y avait le restaurant, au moins vingt tables, et avant d'entrer au restaurant, on allait encore à gauche pour le bar-lounge.
C'est ma mère, secondée par Hubert un cuisinier Ivoirien qui faisaient une cuisine Française et Libanaise, et à la demande, des plats simples comme un steak-frites ou une omelette.
Le serveur s'appelait Benoît il était Ivoirien. Ma mère et Hubert servaient aussi les tables en cas d'affluence.
Les clients étaient ceux de l'hôtel mais aussi des Libanais qui venaient retrouver le goût du pays. On mettait indifféremment des musiques occidentales comme les Beatles ou Libanaises comme Sabah et Feyrouz.
Dans la rue, devant l'hôtel c'était un spectacle permanent: les femmes qui passaient une bassine ou une énorme casserole sur la tête, sans la tenir, un bébé enveloppé dans un pagne attaché sur le dos. Des femmes encore vendant à manger, du Foutou: sauce arachide et igname pilée, ou Aloko: bananes plantain frites et trempées dans une sauce piment.
Des danseurs sorciers Mossi, qui jettaient des jeunes enfants en l'air et le rattrapaient sur deux couteaux aiguisés.
Des danses Baoulé, des rangées d'hommes et de femmes habillés avec des tissus tous avec le même imprimé, le visage de De Gaulle, par exemple, si un dignitaire Français venait à Abidjan.
C'était la fête perpétuelle.
Voilà, je pense terminer ici. Il y a encore beaucoup à dire sur Abidjan: les quartiers de Cocody, de Adjamé, les plages de Grand Bassam, la piscine du Palm Beach. Mais ce serait interminable et n'apporterait rien de plus qu'en consultant des pages de tourisme sur internet...
Et des danses Mossi Warba sur YouTube...

Abidjan Années 60Où les histoires vivent. Découvrez maintenant