Partie I

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Le monde n'est que douleur. Comme un brasier immense qui s'élève jusqu'aux étoiles et enflamme tout, ne laisse plus que des cendres. Obi-Wan hurle. Le feu dans ses entrailles se répand dans tout son corps, le fait suffoquer. Il voudrait crier encore, se précipiter sur le corps vaillant quelques secondes auparavant et qui désormais n'est plus qu'un cadavre, pleurer jusqu'à se sentir vide, et peut-être, supplier la Force de ne pas emporter si tôt son Maître. Il ne peut pas, pas tout de suite, pas tant que la colère gronde, se mêle à la douleur dans un ballet maléfique. « La colère mène à la haine, la haine mène au...». Plus tard. Pour l'instant, il doit effacer ce sourire suffisant sur le visage rouge zébré de noir face à lui. Les phalanges devenues livides à force de serrer la poignée de son sabre, la respiration saccadée, Obi-Wan attend que la barrière qui le sépare de son ennemi s'éteigne. Le monde n'est que douleur ; une qu'il va se faire un plaisir de faire déferler. Obi-Wan bondit, sa lame bleue heurte la lame rouge de Maul. Ce que le Côté Obscur apporte de force au Zabrak, lui la compense par la haine aveuglante qui guide ses coups. Quelques minutes lui suffisent pour défaire son ennemi, et bientôt, il contemple les deux parties de son corps qui s'enfoncent dans le puit sans fond. Aucune satisfaction ne l'étreint pourtant, simplement le vide immense auquel il aspirait quelques minutes auparavant. Dans un élan, presque comme un sursaut de vie, Obi-Wan se précipite vers le corps de son Maître qui gît un peu plus loin, la respiration sifflante, comme une brise légère qui dissipe les derniers nuages ; ceux-là même qui, bientôt, se poseront sur son regard pour l'éternité. Le Padawan le prend contre lui, le corps ankylosé de fatigue et de tristesse, et laisse ses larmes creuser des rivières froides sur ses joues. D'une main douce et rassurante, Qui-Gon Jinn essuie une des gouttes salées.

« C'est trop tard... lui murmure-t-il d'une voix transpercée de douleur. Obi-Wan, promets-moi de former le garçon.

– Oui, Maître, balbutie comme il peut l'apprenti, la gorge nouée de tous les mots qui ne peuvent pas sortir.

– Il est l'Élu. Il apportera l'équilibre. Forme-le. »

Et puis plus rien. Pas même la fumée élégante qui s'élève après qu'on ait soufflé sur la flamme vacillante d'une bougie. Qui-Gon s'éteint dans les bras de son Padawan, après lui avoir murmuré des mots qui appartiennent à un autre, rencontré un peu plus tôt seulement. Obi-Wan sent alors l'étau de la haine et du deuil se resserrer autour de son cœur, et il suffoque. Le monde n'est que douleur.

*

Comme chacun le savait, les bas-fonds de Coruscant étaient le repaire de toute la vermine de la Galaxie, aussi il n'était pas rare d'y trouver des mercenaires, des chasseurs de prime, ou encore des Jedi en mission. Obi-Wan, pourtant, n'avait pas été mandaté par le Conseil, et se trouvait là bien malgré lui, à mener une filature qu'il craignait infructueuse. Le tout jeune Chevalier Jedi se maudit intérieurement, mais continua néanmoins d'esquiver les passants qui se demandaient quel malfrat pouvait bien se cacher sous sa cape. L'homme qu'il suivait n'était rien, son importance n'avait que celle qu'il pouvait apporter à Obi-Wan s'il s'avérait posséder des informations intéressantes. L'homme n'était rien, un bandit parmi tant d'autres, et surtout il ignorait être suivi. Il traçait sa route dans les rues bondées, fier comme un paon parce que persuadé d'aller au-devant de quelque chose de grand, son salut qui allait faire de lui quelqu'un ; un méchant, un vrai. Il se murmurait à demi-mot que depuis le blocus de Naboo, la Galaxie vacillait dangereusement, et les tendances démocratiques n'étaient plus toutes à la République. Le Sénat se gorgeait d'espions qui infiltraient les différentes délégations, tâtaient certains terrains, glissaient des informations là où il fallait, et surtout, en soutiraient davantage. Obi-Wan suivait le bandit de pacotille pour cette raison précise : ses soupçons s'étaient tournés vers lui car il manquait cruellement de discrétion, et il souhaitait tirer tout cela au clair avant d'en informer le Conseil. Cette raison, bien sûr, n'avait pas seulement pour but de ne pas embêter les Maîtres Jedi sans certitudes ; il œuvrait également pour lui-même, et ne pas avoir le regard de sa hiérarchie tourné vers lui lui permettait d'avancer plus librement. Car si les Sith étaient réapparus au moment même où la République Galactique tremblait dangereusement, il était fort peu probable que ce ne soit qu'une coïncidence. Et parmi eux, il y avait l'homme qui avait précipité la mort de Qui-Gon. Kenobi sentait au plus profond de lui-même que Maul n'avait été que l'Apprenti, le bras armé d'un dessein encore plus grand, et que le réel responsable était quelque part à sa portée, qui ne demandait qu'à être trouvé.

Un Sombre DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant