J'ai à peine le temps de réagir que Cameron fait déjà entrer trois personnes.─ C'est ici le psy gratuit ? lance une mamie dans le fond.
J'étouffe un rire.
─ Je sais que le titre fait un peu putaclic, répond Cameron, mais nous ne sommes pas psy ! C'est pour les étudiants !
─ Pute à quoi ? s'indigne-t-elle.
Cameron se tourne vers moi, et je sais à quoi elle pense. Je secoue la tête. On ne peut pas la laisser entrer.
Elle me fait un regard de chien battue mais je ne cède pas. Heureusement, elle passe à autre chose.
Me lever pour rejoindre Cameron dans l'embrasure a probablement puisé toute mon énergie de la journée niveau sociabilité mais maintenant que je suis là, je me sens idiote de rester debout sans rien faire. Je me maudits, mais ce n'est pas le moment de lâcher. Encore un petit effort.
Je fais des signes de tête à deux personnes supplémentaires pour qu'elles puissent passer.
J'ai au moins participé, je laisse mon amie poursuivre en tâchant de faire bonne figure mais je ne suis pas sûre de duper qui que ce soit. Au moins je sers de vitrine pour le Therapy Club. Regardez ce que vous pouvez trouver à l'intérieur !
Une femme blonde qui me dépasse d'une tête s'avance. Cameron est sur le point de la laisser entrer mais je tente des signaux de protestation inutiles, comme taper du pied ou me racler bruyamment la gorge, qui seule Cameron ne perçoit pas, évidemment. Seigneur, ils vont croire que je suis cinglée. Mais je ne veux pas qu'elle entre !
Je viens de me faire prendre à mon propre jeu. Je voulais réunir des personnes comme moi, et voilà que le stéréotype de la fille populaire vient de s'incruster dans mon monde. Comme si elle ne régnait pas déjà sur le monde extérieur.
Je ne la connais pas, mais je ne la sens pas. Il a suffi qu'elle entre pour que je suffoque comme si son parfum de luxe absorbait tout l'oxygène. Comme s'il fallait qu'elle envoie des particules d'elle dans l'air en plus de son aura qui vous serre la gorge pour gagner encore plus de terrain.
J'essaie de ne pas la fixer mais j'ai besoin de l'appréhender. Sauf que plus je la regarde, plus sa confiance me prend de court. Elle n'a pas sa place ici, tout comme moi je n'ai jamais eu ma place à l'extérieur.
Je détourne le regard avant qu'elle ne me remarque. J'ai eu le temps de distinguer ses cheveux dorés ondulant jusqu'aux omoplates, des yeux d'une nuance de bleu qu'on peut rajouter à celles qui existent déjà, et un ensemble blazer-minijupe à carreaux gris et noirs, imitation écolière. Je joue avec mes bagues en me demandant comment réagir face aux membres qui viennent de s'installer. Ils sont sur leurs téléphones, ce qui me sauve la mise, pendant que Cameron referme enfin la porte pour nous rejoindre autour de la table.
– Bonjour à tous ! s'exclame-t-elle. Vous allez bien ?
Les réponses sont timides. Il faut le temps que la dynamique se mette en place.
À ce moment, je sais qu'elle se retient de dire « si vous êtes là c'est que ça ne va pas ».
– Si vous êtes là c'est que ça ne va pas fort.
Ah non, elle ne s'est pas retenue.
Ça sonne moins mal que je ne le pensais. Pendant que l'attention est portée sur elle, je passe rapidement les membres en revue.
Il n'y en a qu'une qui fait tache au tableau. C'est cette fille populaire. Rien qu'à voir ses habits je suis certaine qu'elle a de quoi payer des séances de psy. Je voulais créer un endroit calme et sécurisant pour ceux qui n'en ont pas les moyens et voilà qu'elle vient s'ajouter comme une fleur. Je n'arrive pas à croire que Cameron n'y ait pas songé.
– Je vous rassure, nous n'allons pas faire de tour de table car c'est très angoissant pour certaines personnes. Nous apprendrons à nous connaître au fur et à mesure.
Je t'aime Cameron, t'es la meilleure. Si elle n'était pas avec son copain je l'aurais épousée. Dommage pour moi, ils filent le parfait amour. Je n'avais qu'à arriver avant.
– Faisons d'abord la présentation du club, et de ses fondatrices, poursuit-elle en me désignant d'un geste chaleureux.
J'aimerais réussir à lever les yeux vers eux, au lieu de ça je continue à triturer mes bagues, les chevilles croisées sous la table.
Cameron enchaîne rapidement. On dirait qu'elle a fait ça toute sa vie. Elle est à l'aise, et emphatique. Elle n'a pas vraiment vécu de traumatisme mais elle sait faire attention à ceux qui en portent le poids. Ce n'est pas donné à tout le monde.
– Voici Amélia, ma colocataire et amie qui a eu l'idée de crée ce club. Moi je suis juste la meilleure amie qui la suit dans tous ses délires.
Je sens que je vais bientôt devoir prendre la parole alors j'essaie d'essuyer mes mains moites sur mes hanches, le plus imperceptiblement possible.
– Bonjour, commencé-je en balayant timidement les membres du regard. J'ai voulu créer ce club dans un esprit d'entraide. En réalité c'est Cameron qui m'en a donné l'idée.
Je reprends mon souffle. Je ne peux m'empêcher de penser que la blonde me juge, scrutant chaque détail de mon apparence et la façon dont je prononce chaque syllabe. Je reprends :
– Je suis étudiante en troisième année de psychologie, et Cameron m'a demandé comment je comptais aider les gens alors que j'avais moi-même besoin d'aide. Je lui ai répondu que c'était la question que je me posais tous les matins.
Je suis essoufflée à chaque fin de phrase. Mais je dois aller au bout :
– En tant qu'étudiante je n'ai pas forcément les moyens de consulter un psychologue, je me suis dit que je n'étais pas la seule dans cette situation et qu'il serait bien de partager ça avec d'autres personnes dans la même situation. Voilà, en gros l'histoire. Je vais laisser Cameron continuer, car elle est beaucoup plus à l'aise que moi à l'oral.
A la seconde où j'arrête de parler, je repasse en boucle chaque phrase que je viens de prononcer pour être certaine de ne rien avoir dit de travers. En revanche, je pense que j'avais l'air stupide. Qui a peur de parler, sérieusement ?
– Je pense qu'il est tant d'annoncer le programme, fait-elle avec enthousiasme. S'il ne vous convient pas, vous pouvez toujours quitter le club avant qu'on ne commence réellement les activités.
Pourvu qu'elle ait prévu des roulades dans la boue pour que la blonde détale au plus vite.
– Mettons les choses au clair, nous ne sommes pas psy, ou pas encore. Nous n'avons pas les capacités de proposer un véritable suivi, ni même une thérapie professionnelle. En revanche, le programme permettra à chacun d'apporter quelque chose aux autres. Mais d'abord je propose qu'on crée un groupe sur Instagram pour pouvoir parler par message. Donc je laisse une feuille à votre disposition, n'hésitez pas à y inscrire votre pseudo avant de partir.
C'était une bonne idée, si mon compte Instagram n'était pas un compte de chroniques littéraires. Je n'ai pas envie qu'ils empiètent sur mon jardin secret. Je me créerais un nouveau compte sans rien dessus.
– Je voudrais vous en dire plus mais c'est déjà l'heure, dit-elle finalement. Semaine prochaine, même heure. Et n'oubliez pas d'inscrire votre nom sur la feuille. Merci.
Je reste dans la même position, le temps qu'ils écrivent, et que la salle se vide peu à peu. Cameron leur souhaite une bonne soirée, et lance des sourires chaleureux à tout va.
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THERAPY CLUB
RomanceAmélia est étudiante en troisième année de psychologie. Elle se dit qu'il serait temps d'aller bien avant de vouloir aider les autres. Le problème, comme beaucoup d'étudiants, elle n'a pas les moyens financiers de consulter un psychologue. Elle dé...