<Akileis> monte <vers le bonheur>

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Aujourd'hui, il se souvient. Les souvenirs maudissent son âme, la condamnent aux enfers. Akileis aimerait s'arracher les yeux, se griffer la peau jusqu'au sang. Pour son esprit malade, peut être que le liquide rouge encore chaud couvrirait la froideur de son âme. Masquerait le blanc neigeux de son cœur, ferait fondre le blizzard de ses pensées.

Quelqu'un entre soudainement dans la pièce, un sourire arboré comme une cigarette au coin des lèvres. Le soleil joue avec ses reflets, et dans le miroir, à travers le parquet brun, aucun chagrin ne marque son âme.
Iel sifflote légèrement une ode à cette vie, se transformant en un son horrible, distordant, obsédant parvenu aux oreilles d'Akileis.

Chaque son, chaque odeur lui paraît venir de loin, d'une atroce autre dimension. Et malgré la douleur, le garçon donnerait tout pour revenir dans ce monde. Pour ne plus percevoir le visage de sa défunte aimée, ne plus entendre cette voix aux murmures culpabilisateurs.

Il n'y a que dans ces instants qu'il prend conscience ; sa voix est une mélodie effacée de sa mémoire. Une douce composition dont on aurait perdu l'instrument principal. Et les remords coulent sur son âme au même rythme que ses sanglots. Il souhaite seulement sa mort, pendu, noyé, brûlé. Il se hait.
Plus que personne ne le fera jamais.

Il n'avait qu'une seule mission, ne jamais l'oublier. Et voilà que ces reliques si symboliques disparaissent. Ses mains agrippent sa tignasse brune, arrache comme si tout cela pouvait stopper la cascade de pensées.

L'autre crie. ‹‹ - Akileis ?! AKILEIS ! ››
Mais le son lui parvient à la manière d'une barrière, comme s'il était perdu dans un océan de souffrance. Il n'entend que ses remords, cruels, répétitifs. Tout est rouge, rouge sang. Ou plutôt noir, noir mort. Peu importe. Il ne peut répondre, lèvres scellés par un cri douloureux.

Une aura étouffante de panique lui parvient. L'affolement de la personne lui monte à la gorge, fait doucement serpenter son cœur jusqu'à ses lèvres. Si Akileis pouvait vomir son âme condamnée par les fragments de son identité, ses doigts n'hésiteraient pas une seconde.
Un appel à l'aide marque la mesure suicidaire sur son front, son poing jouant la tige verticale du métronome. Un dégoût si limpide de lui qu'il en devient physique coule dans son sang. Pourquoi est-il ce qu'il est ? Pourquoi l'a-t-elle aimé ? Pourquoi est-elle partie ? Pourquoi l'a-t-elle laissé dans cette souffrance ?

S'en vouloir, lui en vouloir. Les choix oscillent, sa tête lui fait mal. Puis une haine envers lui-même, incapable de prendre la meilleure décision. Appel du sang par le sang. Il rouvre les yeux sans comprendre, sent le liquide rouge lui dessiner les contours de la mâchoire.

L'autre hurle des mots distordus en voyant ses mains.
Les larmes aux bords des yeux, vil spectacle pour un astre si pur, iel les attrape, plaque son corps au sol et le chevauche ; une adorable expression paniquée voile ses traits solaires. Un sourire hagard se dessine sur les lèvres d'Akileis, pendant que ses yeux fixe le divin spectacle au-dessus de lui.
Elle est revenue du ciel, sa muse. Elle a pris pitié, sa belle nymphe. Elle a arrêté de se cacher dans ce grand cercueil noir qui ne lui allait pas au teint, son plus grand amour.

Et ses cheveux miel tombent en cascade au-dessus de ses fines épaules. Qu'elle est maigre ! L'Ambroise des Dieux ne devait suffire, mais à présent il peut lui offrir son cœur pleinement. La nourrir d'amour, la combler de lui.

Devant lui, se dessine le corps qu'il a toujours voulu avoir. Torse plat pour frimer l'été, barbe, voix grave et sensuelle, un machin avec des boules à qui il aurait pu donner un nom amusant. Qui aurait vécu en même temps que lui les premiers bisous.
Ce corps que sa déesse haïssait tant.

Elle clamait aux larmes, épuisée, qu'il ne lui appartenait pas. Elle avait supplié l'univers tant de fois de le reprendre. Athem ne pouvait supporter ces ‹‹ il ›› qui l'assassinaient petit à petit, empoisonnait son cœur d'un espoir condamné à s'en aller.
Elle était ‹‹ il ››. Et le jour où elle avait pris ces médicaments, le monde entier a pu entendre la peine de la gracieuse jeune fille au corps maudit.

Lui l'avait comprise dès le début. Ensemble, iels avaient hurlé contre l'Univers dans des champs, devant les étoiles, en existant. Lui l'avait comprise. Il existait en tant qu' ‹‹ elle ››. Le même qui scelle son cœur d'une peine immense.

Oui, iels avaient vécu les mêmes choses. Se comprenait du bout des yeux, quand leur pupille admirait d'un peu trop près le corps de l'autre. Alors iels s'étaient promis de veiller sur leurs corps respectifs. Pour saon amoureux.se. Plus d'automutilation pour essuyer la peine d'un destin foireux, plus de drogues ou d'alcools pour déchirer les cordes vocales de peine.

Iels veilleraient mutuellement sur le corps dégoûtant que l'autre admirait. Et l'équilibre marchait bien ! Jusqu'à ce qu'athem saute pied joint dans la mort, qu'on y découvre sur ses bras endormis de très récentes cicatrices.

Il avait longtemps hésité à continuer pour elle. Mais, médicaments dans la main, Akileis était incapable de se suicider. Il fallait qu'il tienne, même si son plus grand amour est mort, même si la douleur forme les pavés des ruelles de son esprit. Il devait se tenir à leur promesse de prendre soin du corps destiné à l'autre.

Il cligne des yeux, le visage familier de son colocataire se tient devant lui. Sa poitrine monte et descend d'épuisement.
C'est enfin fini.

Alors il se lève péniblement sous le regard ahuri de l'autre, et lui adresse comme il peut avec ses doigts tremblants un mot à la machine à écrire :

‹‹ ton corps se porte bien. tout ira bien. ››

La lune ne brille pas en EnferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant