Le phare des ours

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Piégé entre ciel et terre, je sentais l'air qui me collait au corps et qui s'enfuyait encore et encore, me brossant violemment. Le souffle coupé par la chute, je voyais, impuissant, le monde grimper vers moi. La mer, l'océan de mes peurs se faisait de plus en plus immense, de plus en plus féroce et surtout de plus en plus proche. Vint le moment fatidique où je fis dessus une entrée fracassante. Je perdis connaissance.

Au moment où j'écris ces maigres lignes, je n'ai que de vagues souvenirs des profondeurs qui m'ont accueillies ce que j'appris plus tôt être une poignée d'heures. L'eau m'avait envahi, m'avait fait sien. J'aurais pu me débattre si j'en avais eu l'occasion, mais contre la mer et sa fureur, contre l'obscurité de la nuit, qui peut lutter ?

Lors de ma chute, je voyais notre avion qui brûlait, le feu se répandait sur l'eau depuis ses propres entrailles. Les réserves de carburant, par un habile stratagème avaient pris feu. J'ai souvenance d'un homme assis à côté de moi. Il fumait de ces cigarettes qu'achètent les gens pauvres. Je me demandais pourquoi on m'avait assis à côté de quelqu'un comme ça ? Toujours est-il que c'est ce qui m'a sauvé la vie je pense puisqu'après avoir refermé son attaché-case, dans lequel j'entraperçus une paire de photo, une lettre manuscrite et son arme de poing, il a tiré loin de nous.

Notre avion se consumait aussi vite qu'il coulait. La lumière dans les ténèbres qu'il dégageait à la surface de l'eau en faisait miroiter les couleurs et les formes. Qui aurait pu penser que les flammes puissent être si belles ? Alors que je me rapprochais d'une mort imminente, directe mais violente, j'en venais à me demander si je n'aurais pas préféré périr dans les flammes. On dit que par le feu, la mort est des plus douloureuses et des plus lentes, mais sentir la vie qui part, c'est sentir la vie et je pense que jamais je ne m'étais vraiment senti vivant. C'en aurait été la meilleure occasion, et même celle-là, je l'ai ratée.

*

Je sens qu'on m'attrape, qu'on me hisse, qu'on me traine. Mes yeux s'ouvrent et se referment, mes poumons crachotent ce qu'ils leur restait d'air et tout ce qu'ils avaient d'eau à revendre. Entre mes hoquets, la fièvre, le froid et l'eau, j'eus l'impression de changer de monde entre chaque pas. Passer de vie à trépas ici puis là, dès que mon chauffeur virait en marchant.

Tantôt par le pied, tantôt par le col, des fois par le bras, je sens que je change de main et qu'on me traine encore au bout du monde. Quelques heures auparavant, j'étais au bout du mien et voilà que j'en découvre encore un.

A l'une des occasions où j'étais assez conscient pour discerner la vie autour de moi, je ne voyais que la noirceur de la nuit au travers d'un filtre de douleur. Mes yeux, probablement rouges comme le sang à cause du sel et du crash me montraient tour à tour des images de ce qu'ils enregistraient. Mon cerveau, de son côté, peinait à m'en restituer les tenants et aboutissants. Un résultat bien étrange puisque de mon point de vue, j'avais atterri en plein rêve et non en pleine mer.

Mes différents sens à l'affut de la dernière dose d'adrénaline disponible dans mon corps, je compris rapidement que j'étais sur un bateau. J'avais été secouru ! Je me souviens avoir été trop fatigué, trop épuisé pour m'en réjouir, je pense simplement que j'ai expiré un grand coup, crachant encore plus l'eau que j'avais bu par le mauvais tuyau.

Etrange, n'est-ce pas, de sauver quelqu'un de la noyage puis de le trainer par le pied le long du bateau ? Chaque plaque métallique me cognait la base du crane quand nous nous rencontrions. Ces baisers froids et répétitifs ne m'apportaient aucun autre réconfort que celui de savoir que j'étais vivant. Une lumière gigantesque se noyait dans le ciel qui lui-même se noyait dans l'eau noire de la nuit. Ne faisant qu'un, ne trouvant la limite de l'un ni de l'autre, je n'aurais su dire si je voyais la mer ou l'espace infini, tout ce qui transparaissait, c'était la puissance, la force d'un soleil dans le creux de ma main alors que je la tendais vers sa source qui tournoyait à quelques distances de là.

Le phare des oursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant