La reine

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Je fulminais. Ils nous avaient bien eu, il faut dire qu'on leur avait facilité la tâche. Explorer la Forêt Noire avec le reste de l'armée, quelle idée stupide j'avais eu. Si j'aimais m'y promener seule la nuit, j'aurais dû y réfléchir à deux fois avant d'embarquer onze hommes avec moi dans cette expédition suicide. En pleine journée en plus, quelle idiote j'étais !

Si encore il y avait eu un enjeu valable, comme une fontaine de jouvence dissimulée parmi les fourrés, une mystérieuse baie aux propriétés magiques, ou même une créature inconnue qu'il aurait été intéressant d'étudier, alors le jeu en aurait valu la chandelle. Seulement, il n'y avait rien de tout ça, rien de plus que l'envie irrésistible de marcher sur ces terres aussi menaçantes qu'envoûtantes.

Alors que nous longions la lisière de la Forêt Noire pour rentrer chez nous, je n'ai pu m'empêcher de relever la curiosité que mes soldats entretenaient pour ce lieu, royaume voisin du notre et pourtant si lointain. Portée par ma spontanéité à toute épreuve, je leur ai proposé de s'aventurer dans ce lieu qui les intriguait tant. Ils ont été nombreux à sauter sur l'occasion. Jeunes et aventureux, ils étaient avides de nouveautés au point de négliger le danger encouru au profit de l'adrénaline qu'il leur procurait. Quelques-uns cependant, ont argumenté un moment avant d'accepter de nous suivre parmi les feuillages ténébreux. Plus sages de par leur âge et leurs expériences passées, ces quelques soldats avaient tenté de réfréner notre enthousiasme insouciant, en vain, mais avec raison.

Malgré leurs avertissements et le murmure incessant de leur mécontentement, nous avons dépassé l'orée du bois pour nous plonger dans l'obscurité. Nous laissions derrière nous la lumière, sans regret, sans savoir que nous la quittions pour toujours. Nous avons abandonné le soleil pour gagner la nuit, cette nuit éternelle et ensorcelante qui nous accompagnerait jusqu'à la fin. Fascinés par la beauté des lieux, nous avons fait avancer nos montures au pas, nous assurant ainsi de ne rien rater du majestueux spectacle qui se jouait sous nos yeux.

Des champignons polychromes, aux animaux fugaces, en passant par les quelques lutins farceurs et fées pailletées, tous nous étaient connus, et pourtant, au sein de cette ambiance particulière qu'offrait la Forêt Noire, leur beauté paraissait décuplée. Dans l'ombre de ces bois, tout semblait briller par lui-même. Privée du jour, mais sublimée par la noirceur, cette terre était sans aucun doute la plus belle de tout notre monde, la plus étincelante aussi.

Cette forêt, comme toutes celles de notre monde, était enchantée. Néanmoins, contrairement aux autres, celle-ci n'avait pas été bénie d'un joli charme, au contraire, elle avait été maudite d'un puissant maléfice. Il se rapportait de contrée en contrée que la reine du royaume noir serait à l'origine de cet affreux sortilège. Il se disait qu'elle aurait jeté ce sort pour éloigner tout intrus potentiel, on pouvait dire qu'elle avait réussi. Le simple mythe de la forêt noire suffisait à éloigner le monde extérieur. Puissantes armées et monstres faramineux, tous étaient trop effrayés pour oser s'aventurer sur ce territoire maudit. Et les quelques courageux effrontés qui s'y risquaient quand même, jamais ne revenaient.

À ma connaissance, j'étais donc la seule à avoir visité ces bois et à être revenue au Royaume Blanc en un seul morceau. Sans vouloir me vanter, j'étais un peu comme une légende vivante, et c'est bien pour cela que je n'avais jamais rien raconté à personne. Jamais, au grand jamais je n'avais dit un mot de mes escapades nocturnes à quiconque. C'était mon petit secret. C'était notre petit secret, à moi et ces bois. Et ça le serait resté, si j'avais écouté ma raison, pour une fois.


Le sac qu'on m'avait mis sur la tête me barrait la vue, pourtant, je savais qu'à travers leur propre sac, les anciens me trucidaient du regard. Ils avaient raison de le faire, c'est moi qui dirigeais la troupe, tout cela était de ma faute. J'avais motivé, encouragé l'engouement des plus jeunes sans écouter une seconde les recommandations de mes ainés. Je nous avais conduits à notre perte. Tous m'en voulaient, je les comprenais. Le somptueux paysage que nous avait offert la forêt maudite n'était certainement pas de taille à excuser notre exécution prochaine.

La reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant