Je suis dans le noir, comme une ombre dans l'ombre. Mes yeux sont rivés au sol et mon esprit est déjà dans la cage, à quelques mètres de moi. Je sautille, je fais des va-et-viens, restless.
J'entends à peine la voix du présentateur résonner, je ne comprends pas ce qu'il dit jusqu'à ce qu'il hurle mon nom au micro. Ils ont tous la même façon d'annoncer les combattants, le même timbre de voix, le même phrasé, les mêmes emphases. Au moment où il annonce « DJOUUULIIII , DOUPOUIIIIIIIIIIIIIIIIIS!!!!!!!! » les spots aveuglants qui encadrent le tapis rouge s'allument et la musique démarre. Il m en a fallu du temps pour la choisir cette musique. Je la voulais violente, puissante. Originale. J'ai hésité longtemps : peut être du classique, un truc qui vous soulève les entrailles? Du même style que Carmina Burana mais en moins vu et revu. Le choeur des esclaves? Puissant mais pas assez violent.
Je voulais une musique qui disait « je vais te bouffer ».
Quelques applaudissements peu convaincus s'élèvent. heureusement qu'il y a la musique, car au-delà se devine une indifférence glaciale. Je suis une challenger, une nobody. Mais je vais la bouffer. J'inscrirai mon nom dans sa chair et dans la postérité.
Je sautille, esquisse quelques mouvements de poings et je commence à avancer en même temps que la lourde basse de Korn entame son riff. Make me bad. Je regarde droit devant moi, la tête haute. Je sens mes mâchoires se contracter convulsivement sur mon protège dents. Je n'ai pas peur.
Momo est derrière moi, je ne l'entends pas mais je devine son regard et sa présence. Julien et Kader le suivent de près avec la trousse de secours. Techniquement, je ne peux pas les voir, mais c'est le même scénario à chaque combat, tous ensemble, avec le T shirt de notre crew, WildBeast™. L'adrénaline est là et j'ai l'étrange impression d'être moi-même et tout à la fois. Je survole la salle, je vois les spectateurs, j'en entends certains me huer, d'autres discuter et plaisanter sans me prêter la moindre attention. Ils rient comme d'autres ont ri en me voyant débarquer pour la première fois au MMA il y a trois ans. Le cours avait déjà commencé, et le temps que je pose mes affaires, leurs sourires goguenards me donnaient envie de rentrer chez moi. Certains s'esclaffaient même ouvertement devant ma grasse silhouette et mon air de « fillette des beaux quartiers » . Ils riaient tous, sauf Momo. Il m'a lancé une paire de gants en me disant «T'es en retard » . C' était la première fois qu'il me voyait. Les rires ont brusquement cessé.
Je suis une outsider, une nobody. Pourtant, d'ici une demi-heure, ils se souviendront de moi, je n'ai pas d'autre choix. 5 rounds. 2 de plus que les 3 habituels. Dix minutes de plus à tenir. Ne pas laisser la fatigue s'imposer. Bloquer toute information de douleur. Ce soir, ce n'est pas un, mais deux adversaires que j'aurais à combattre, coûte que coûte. Et je ne sais pas lequel des deux sera le plus coriace, elle, ou mon propre corps?
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Dans la cage
Short StoryJulie s'apprête à entrer dans la cage, pour le combat le plus important et le plus difficile de sa carrière.