Dans la cage 2

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J'arrive au point de contrôle, j'ôte mon t shirt et les laisse me checker. Mes bourrelets ont petit à petit fait place à un corps vif et affûté. Les gants, la brassière, le short : non je ne cache pas d'autre arme que mes poings et mes pieds, que mes coudes et mes genoux. Ils mettent du scotch autour des ovales métalliques des bretelles de mon soutien-gorge. Dernière étape, la vaseline sur les sourcils et le nez. Pour éviter que ça pisse en cas de mauvais coup. La musique me fait toujours vibrer le ventre comme je pénètre dans la cage, sans perdre une seconde. J'avance, déterminée, jusque dans ma zone, saluant l'arbitre d'une tape poing contre poing au passage ; puis le public d'un bref signe de la main. Make me bad s'éteint, mais je tâche de la chanter intérieurement.

Je fais des va-et-viens pendant que le présentateur annonce « la championne », Karen Fierce. Je ne suis toujours pas sûre d'avoir bien compris comment Kader a réussi ce coup là. Une nobody contre la championne en titre. À sa place, je serais gênée d'affronter une ombre. À vaincre sans péril... On connaît le dicton.

D'accord, elle s'est blessée lors de son dernier combat. Salement même, à 1 minute 30 de la fin du dernier round. Mais jamais elle n'a tapé pour arrêter le combat, car elle se savait gagnante si elle parvenait à la fin du temps réglementaire. Impossible que le jury se prononce en faveur de la Russe, Karen avait marqué trop de points. Elle porte bien son nom, Fierce. Elle a continué a circuler et à encaisser les coups, réussissant à en porter même, avec ses jambes redoutables. Personne n'a remarqué sa fracture du poignet jusqu'à ce que la cloche sonne et qu'elle s' écroule de douleur, sa main gauche pendant lamentablement. Les larmes de douleur et de joie, le hurlement libérateur. Ce combat, je l'ai regardé avec Momo des centaines de fois, analysant son jeu de jambes, son allonge, la qualité de sa boxe, ses façons de projeter au sol, sa garde, ses attaques, ses contres... Elle a été disséquée, tellement que j'ai l'impression de la connaître par coeur, alors que c'est la première fois que je la vois. La salle rugit à son approche. Elle est chez elle, fait son entrée comme un César au Colisée. Autour de sa taille brille l'épaisse ceinture dorée, celle qu'elle vient remettre en jeu ce soir. Beth Ditto s' égosille. Je détourne le regard et reprends mes va-et viens, comme une lionne en cage. Ma crinière a été taillée deux jours avant le combat. Les cheveux longs c'est trop galère, j'ai préféré m'en libérer.

Après le check up, elle pénètre dans la cage à son tour. Comme une panthère, littéralement, à quatre pattes, son regard narquois fixé sur moi. Elle fait le show devant l'audience conquise, les pieds des spectateurs martèlent le sol en rythme. Je tente de soutenir son regard avec impassibilité, et je vois un rictus se dessiner sur ses lèvres un instant. Elle flaire ma peur. Je me ressaisis. La peur est un luxe que je ne peux m'offrir.

je fais quelques mouvements d' échauffement. jambes, bras, je bondis d'un endroit à un autre pendant que le présentateur finit son laïus.

D'habitude, Momo serait entrain de me prodiguer quelques conseils de dernière minute. Ce soir pourtant, il est muet comme une carpe, assis sur son tabouret de l'autre côté du grillage. J' évite de croiser son regard, j'ai peur de ce que j'y trouverais. Je les ai entendus, l' autre soir, avec Kader. J' ai traîné plus que de raison sous la douche, la chaleur réconfortant mes muscles meurtris par trois heures intensives d'entraînement. Après m'être rhabillée, je poussais la porte du vestiaire et m'apprêtais à sortir quand je les ai entendus. Momo trouvait que c'était trop tôt pour un tel combat. « Elle n' a fait que 3 combats chez les Cage Fighters! et même si elle n' en a perdu qu'un tu sais aussi bien que moi qu'elle n'est pas prête pour ça! ». Kader lui disait que c'était une opportunité en or, et que gagnante ou perdante, cela me faisait une publicité non négligeable. Momo continuait de s'énerver, « oui mais quand même, c'est trop tôt, elle n'est pas au point en sol et tu le sais, son grappling est encore faible pour un match de ce niveau... » Kader a protesté, Julien l'a soutenu, ils ont élevé la voix puis Momo a claqué la porte.

Finalement je préfère qu'il ne me parle pas. Après tout, il peut dire ce qu'il veut, au fond, nous ne sommes que deux dans la cage. Ce soir je suis seule, face à Fierce. La caméra de télé est à deux centimètres de moi, mais au-delà, je vois la panthère qui semble impatiente d'en découdre. Je partage son empressement.

L'arbitre nous demande d'approcher, nous rappelle les règles du combat, et l'adrénaline se répand dans mes veines à la vitesse de l'éclair. Nos yeux ne se lâchent pas, et je sens la rage qui monte.

La cage est scellée, mon adversaire me tend les poings et je la salue.

Dans une seconde, l'arbitre va taper dans ses mains pour annoncer le début du combat. Je monte ma garde, positionne mes pieds, et laisse la rage m'envahir.

Dans la cageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant