Chapitre 1

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Mi, ré, do, ré, do, sol, si, la. Toujours le même morceau résonnait dans ses lieux. Les mêmes notes sur une tonalité mineure. L'Élégie de Fauré était un morceau magnifique, qui vous remplissait d'un profond désespoir ou d'une vague de nostalgie. Ces notes résonnaient d'un doux instrument, qu'est le violoncelle. Une vague de chaleur, une complainte qui s'échappe des cordes de l'instrument. Ce n'était pas rare d'entendre des notes de musique s'échapper des salles dans les couloirs du conservatoire. Mais on entendait le plus souvent des exercices, des gammes, tout ce que les musiciens s'appliquaient à travailler avant de préparer leurs œuvres avec leur professeur. Une telle sensibilité s'entendait rarement. La musique venait pénétrer votre âme au plus profond de l'être. Les couloirs étaient à cette heure-là presque déserts. Il était tard. La plupart des élèves étaient rentrés chez eux. Pourtant, un violoncelliste s'appliquait toujours à sublimer cette même phrase musicale si connue de Fauré. C'était un véritable travail, chaque note était décortiquée légèrement corrigée pour qu'elle devienne la plus juste et obtienne la résonance la plus sensible.

Le gardien de nuit voulait fermer le conservatoire et faisait le tour des couloirs pour gentiment guider les élèves vers la sortie. C'était un homme dur qui aimait rappeler l'ordre dans ce bâtiment qu'il connaissait par cœur. Il s'attendait à ce que les élèves l'écoutent, il connaissait à l'avance leur bêtises et surtout aimait se promener dans les couloirs et écouter la variété des sonorités des instruments. Ces couloirs regorgeaient pour lui d'une tranquillité absolue. Lorsqu'il prenait sa pause, il prenait plaisir à s'asseoir et à écouter la musique classique qu'il pouvait entendre dans les lieux. C'était un vieil homme qui avait travaillé dans de nombreux endroits avant de découvrir le conservatoire. Dès ses premiers jours, il se surprit lui-même à écouter la musique de ces lieux qui l'enchantait. Il fut impressionné par les petites têtes capables d'accomplir tant de belles choses avec leur corps sur un simple instrument. Il trouvait cela admirable : le temps et le travail que chaque élève se donnait pour mission afin de progresser dans la pratique de leur instrument. Alors il avait pris à cœur d'améliorer la vie de ces jeunes qui se dédiaient à la musique. Il avait appuyé les demandes pour ouvrir plus le conservatoire, se montrant disposé à rester le plus tard possible pour fermer ce lieu afin que les élèves puissent travailler au mieux. Sans femme, ni enfants, il n'avait que ça à faire et s'était pris d'affection pour quelques élèves qui lui témoignaient de la gratitude. C'était un homme à l'apparence froide et rigide mais dans le fond c'était une personne généreuse et chaleureuse. Les élèves le connaissaient tous et l'appelaient "Monsieur Didier". Didier était son prénom mais ils se plaisaient à l'appeler monsieur d'abord pour lui témoigner leur respect. Chaque année, il recevait une avalanche de cadeaux de la part des élèves qui voulaient leur montrer leur gratitude. "C'est un homme peu commode, disaient-ils, mais il a un grand cœur". Et peu à peu sa réputation d'homme sévère et peu sympathique s'était effacée pour laisser place à une image d'un homme réservé mais adorable.

Ce soir-là, il faisait le tour et entendit du violoncelle dans la salle 209. Il était habitué, toujours cette même salle, le même instrument donc la même personne. Il toqua et entendit la musique cesser. C'était toujours le même morceau, ces dernières semaines. Il commençait presque à le connaître par cœur. Il ouvrit la porte et passa la tête dans l'entrebâillement. Il lança :

- Julien, tu sais que je vais fermer, il est temps d'arrêter de travailler.

Le jeune garçon le regarda de ses grands yeux verts. Ses cheveux d'un roux foncé perlés d'une petite sueur de quelqu'un qui s'était efforcé de travailler encore et encore. Il se frotta machinalement le nez, parsemé de tâches de rousseur. Il avait l'air fatigué et sa peau était encore plus pâle que d'habitude.

- Je suis désolé, j'ai pas vu l'heure, dit-il.

Monsieur Didier soupira et voulut changer de sujet, d'un revers de la main avec ces paroles :

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