Chapitre 3 : La porte

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Un profond silence régnait dans les couloirs vides et sombres du manoir. C'était la nuit. Pas une âme n'était éveillée. Tout le monde dormait. Tout le monde ? Non. Dans l'obscurité inquiétante de la nuit, la petite chippie s'était jouée de sa gouvernante. Colombe, sur la pointe des pieds, ouvrit la lourde porte de sa chambre le plus lentement possible, craignant le moindre grincement. Elle jeta prudemment un premier coup d'œil dans le couloir. Personne. La voie était libre. Pieds nus, elle se mit à courir à travers les couloirs, un gros livre sous le bras, veillant à rester sur la moquette afin de prévenir les bruits. C'était la première fois qu'elle faisait ça.

Elle n'avait jamais désobéi à ce point à sa gouvernante, et elle ne préférait pas imaginer la punition qui l'attendait si elle se faisait attraper. Et c'était justement cette éventualité qui provoquait en elle ce sentiment si grisant qu'était l'adrénaline et elle savait, au fond d'elle, que ce soir-là ne serait pas la dernière fois.

Colombe n'avait pas réussi à s'endormir. Ses dernières nuits avaient été hantées par d'étranges terreurs nocturnes, toutes plus énigmatiques les unes que les autres et dont le personnage central était, pour une raison inconnue, toujours un oiseau. Plus les nuits passaient, plus elle redoutait le moment du coucher et plus il lui devenait difficile de s'endormir. Mais dans sa fierté enfantine, la petite fille refusait, têtue, de demander de l'aide à sa gouvernante ou bien à son père. Ce soir, elle avait donc pris une décision ; elle ne dormirait pas de la nuit. Et quoi de mieux qu'un bon livre pour rester éveillée toute la nuit ?

Elle arriva rapidement dans l'aile est du manoir où elle avait découvert, plus tôt dans la journée, la parfaite cachette secrète pour sa session de lecture nocturne. Elle regarda le lourd rideau de velours qui pendait devant elle. Un sourire se dessina sur son visage. Elle surveilla une nouvelle fois les alentours, vérifiant qu'elle était bien seule, avant de se faufiler sur le rideau et de grimper sur le large rebord de la fenêtre. Elle s'installa confortablement contre le coussin du salon qu'elle avait posé l'après-midi même en prévision de ce soir et ouvrit le premier tome des Aventures de Sherlock Holmes, une série qu'elle avait lu tant de fois qu'elle connaissait l'intrigue par coeur et qu'elle avait chapardé dans la bibliothèque. Comme elle l'avait deviné, c'était l'endroit parfait pour lire la nuit sans se faire prendre. Non seulement elle se trouvait dans un couloir très peu emprunté et le rideau la cachait, mais elle n'avait surtout pas besoin de lampe pour lire, la lumière argentée de la lune à travers la fenêtre suffisant amplement pour déchiffrer les mots.

Elle laissa échapper un petit rire, fière de sa trouvaille, avant de reprendre son livre là où elle s'était arrêtée le mois dernier avant que sa gouvernante ne le confisque, soi-disant qu'elle était "trop jeune pour lire ce genre de chose". Mais ce n'était pas ce genre d'arguments qui l'empêcherait de terminer son livre ! Elle avait hâte de connaître le fin mot de la nouvelle affaire de son détective préféré.

Le visage grave, il alluma la lampe, sortit le premier dans le corridor. Il frappa deux fois à la porte sans obtenir de réponse. Alors il tourna le bouton, et entra, en me précédant, le revolver au poing.

Un singulier spectacle s'offrit à nos yeux. Une lanterne sourde posée sur la table éclairait le coffre-fort dont la porte était entr'ouverte. Auprès de cette table, sur la chaise de bois, le docteur Grimesby Roylott, vêtu d'une robe de chambre grise, les pieds nus chaussés de babouches turques. Sur ses genoux le fouet à la longue mèche que nous avions remarqué dans la journée. Il avait la tête renversée, et ses yeux regardaient avec fixité un coin du plafond. Sur le front, il avait un singulier bandeau jaune, tacheté de brun, qui semblait serré autour de sa tête. À notre entrée, il ne fit aucun mouvement.

L'oiseau blancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant