Breathe

Chapitre 1 : La routine

TIC TAC TIC TAC TIC TAC..
Allez ! Plus que cinq minutes !
Je regarde autour de moi. Tout le monde semble attendre ; nous fixons tous l'horloge avec impatience.
Nous n'avons
jamais été aussi proche.
Je lance un regard au coin à ma voisine de table, Izzie.
Elle joue avec ses cheveux; elle les tortille , se débarrasse de quelques fourches, les attache, les détache, tout ça continuellement, sans arrêt.
Ses cheveux sont d'un blond presque blanc et ses yeux d'un bleu, froid, glacial.
Elle me fait penser à l'hiver. Je n'aime pas l'hiver.
Ses yeux se posent sur moi, je me détourne rapidement. Mais son regard continue de me transpercer.
J'essaie d'agir naturellement, comme si elle ne m'intimidait pas.
Même si je ne la vois pas, je sais qu'elle esquisse ce sourire sournois qu'elle me réserve à chaque fois.
Enfin, la sonnerie retentit.
Nous nous précipitons tous hors de la classe comme s'il y a avait le feu.
Je pousse un profond soupir de soulagement quand je me
retrouve sur le chemin de la maison.
Une journée de plus terminée . Plus qu'un an et demi et je n'aurai plus jamais à revenir ici.
Je savoure enfin ce moment de solitude; l'odeur du printemps qui arrive à grande enjambée, les couleurs vives et joyeuses qui réapparaissent timidement petit à petit , les oiseaux qui sifflotent et volent énergiquement en dessus des arbres majestueux qui reprennent vie, eux aussi.
Des pas derrière moi viennent mettre fin à ce rare instant d'enchantement.
Je ne me retourne pas, mais je reconnais immédiatement le rire moqueur de Izzie.
Je sais déjà qu'avec elle se trouvent Ava, Léna et Kylie, ainsi que Dean, le comique de la bande.
Je sors subitement mon téléphone portable, façon idiote de leur montrer que moi aussi, j'ai une vie sociale.
Je compose le numéro de Nora et clique sur le bouton " appel".
Tout de suite, une voix endormie me répond :
- Quoi.
- Salut, Nora ! Alors qu'est-ce que tu fais ?
- je dors.
Comme toujours.
Nora passe son temps à dormir. Elle a pris une " pause" d'un an à l'école, prétendant qu'elle cherche encore sa voie.
Secrètement, je l'envie. Rien ne me répugne plus au monde que le lycée. Les profs qui me détestent sans la moindre raison, les élèves aussi faux les uns les autres, les matières qui ne m'intéressent aucunement, les rumeurs, cette stupide échelle sociale dont je suis clairement exclue, et ce réveil qui me force à me lever tous les matins à six heures pour subir une journée de plus en enfer.
- Ça te dirait qu'on se voit ? Cet après-midi ? proposé-je avec peu de conviction.
Elle grogne. J'entends le craquement habituel de son lit signifiant qu'elle s'est décidée à quitter son lit.
- Quand ? dit-elle finalement.
Derrière moi, les rires s'intensifient.
- Maintenant ?
Elle soupire:
- D'accord, où es-tu ?
- En bas de chez toi !
Elle s'esclaffe.
- Ok, ma belle, j'arrive.
Je souris et m'arrête devant son immeuble.
Izzie et sa bande me regardent tout en s'éloignant , puis elles rient à nouveau comme des hyènes, à l'exception de Dean qui me lance son habituel sourire au coin que je n'arrive jamais à déchiffrer.
Nora ne prend même pas la peine de s'habiller quand elle descend me rejoindre: elle a gardé son vieux T-shirt troué au niveau de sa taille et porte un jogging en guise de pantalon. par contre son maquillage et sa coiffure sont impeccables, comme à leurs habitudes.
- Salut ! me lance-t-elle.
Elle affiche un grand sourire et me prends dans ses bras.
Je lui rend son sourire et nous nous rendons au seul café qu'on puisse trouver à Blackwood.

Une quinzaine de minutes plus tard, nous sommes déjà installées à notre table habituelle tout en parlant de la nouvelle conquête du mois de Nora; un bel Anglais qu'elle aurait rencontré sur internet, et qui apparemment compte faire un petit tour dans le coin pendant les grandes vacances:
- Oh et son accent ! Il n'y a rien de plus sexy au monde, Hailey, crois-moi. dit-elle tout en s'éventant de la main en un geste théâtral.
- Tu es sûre qu'il est réel ? Parce que quelques coups de fil et photos ne sont pas des preuves suffisantes et tu sais combien de malades rôdent sur internet...
Nora roule des yeux.
- Fais pas ta rabat-joie ! Je t'ai déjà dit que je lui ai parlé par webcam.
Je hausse les épaules et me concentre sur mon chocolat chaud.
Nora a déjà dévoré deux donuts, descendu une bouteille entière de Coca Cola et s'apprête à entamer avec un paquet de bonbons gélatineux.
Cette fille est incroyable; elle pourrait manger un bœuf à elle seule et ne prendrait pas un gramme. Elle fait partie de ce genre de filles qui ont un corps parfait sans le moindre effort physique et dont les cheveux sont naturellement lisses, soyeux et brillants.
Son téléphone vibre. Elle s'en empare aussitôt et se met à glousser tout en tapotant très rapidement son écran.
Je n'ai pas besoin d'être médium pour deviner qu'elle discute avec le bel Anglais. J'éprouve malgré moi un sentiment de jalousie. Je n'ai jamais eu quelqu'un dans ma vie, je n'ai jamais senti des papillons dans le ventre ou un changement du rythme cardiaque en présence d'un garçon. J'aurais aimé avoir quelqu'un avec qui discuter la nuit, ou encore connaître la passion que l'on lit dans ces stupides romans à l'eau de rose qui se vendent partout. Mais personne n'a jamais rien éprouvé pour moi. Je suis bien trop banale pour qu'un garçon puisse s'intéresser à moi. Il faudrait être complètement aveugle ou stupide pour s'approcher de moi alors qu'il existe une centaine de Izzie Rivers prêtent à tout pour satisfaire la gente masculine. En plus, les gens ont tendance à me voir comme quelqu'un de blasé, sans aucune joie de vivre. Personne n'aime avoir affaire à une tête d'enterrement.
- À quoi penses-tu ?
Nora m'observe attentivement.
- Tu te fais encore un monologue sur ta vie de merde ?
Je soupire, cette fille me connaît par cœur.
- Mais arrête de t'affliger ça Hailey ! Tu es probablement la fille la moins confiante qui puisse exister ! Non mais regarde- toi, bon sang. Tu es super belle, voire canon, intelligente, sensible, généreuse et la fille au plus grand cœur que je connaisse. La seule chose que tu as à faire, c'est laisser les gens s'approcher de toi.
- Facile à dire pour toi, il suffit que tu fasses un signe de la main à un mec pour qu'il tombe raide dingue de toi.
- À chaque fois, qu'un type à l'audace de s'approcher de toi, tu le rembarres direct. Personne n'aime se faire jeter une a plusieurs reprises, tu sais.
Un coup de fil tombé du ciel interromps notre conversation.
- Allo ? dit Nora de sa voix la plus mielleuse.
Elle éclate de rire, comme si elle avait entendu la meilleure blague de l'année.
Je grogne et me lève aussitôt.
- Eh ! Où tu vas comme ça !
Je ne branche pas et continue de marcher. Je sais que c'est mesquin et immature de ma part, mais je ne supporte pas qu'elle étale son bonheur devant moi.
- Hailey ! Reviens ! me crie-t-elle.

Le soir, je suis complètement seule. Ma mère jongle entre trois boulot pour nous permettre de garder le même niveau de vie que nous avant eu jusqu'à présent, je ne la vois par conséquent, qu'une dizaine de minutes par jour. Tout ça aurait été plus facile, si mon père versait la pension alimentaire qu'il nous doit, mais voilà deux semaines qu'il est à Aspen avec sa petit amie, Nicole qui a fini le lycée il y a trois ans. Sachant qu'il s'agit de mon père, je devine qu'il ne compte pas revenir avant un long moment.
Mon téléphone vibre pour la première fois de la soirée.
Qu'est-ce qui t'a pris!!?
Nora.
Je m'empare de mon smartphone et rédige rapidement:
Désolée, je ne sais pas ce qui m'a pris...
Sa réponse arrive instantanément:
Ça va, au moins ?

Oui, ne t'inquiètes pas. On se voit demain, bonne nuit.

Bonne nuit.