•|3|_ Le Plan de Viele _

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...Δ Le Plan de Viele Δ




























































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Le lendemain matin, Jack rentra à la maison. Lui et son père vivaient en célibataires dans un appartement de Saybrook, une des résidences à l'architecture gothique qui caractérisaient le campus de Yale. Leur foyer était rempli de livres, de tableaux primitifs, et de découvertes archéologiques de moindre importance. On trouvait là des piles d'antiques drachmes grecques, des vases en argile trapus, des morceaux d'ossements, des plantes fossiles, des têtes de flèche ébréchées, des figurines nues sans visage et des masques impressionnants ayant autrefois servi à des cérémonies religieuses. Le professeur Perdu collectionnait également des babioles contemporaines qu'il rapportait de ses lieux de fouilles -services à thé, narguilés et oeufs en bois de Turquie, des flûtes africaines, et même une poupée Vaudou qui déclenchait les frissons de Jack chaque fois qu'il passait devant.

Bien qu'un peu courbatu, le garçon se sentait en forme. Toutefois, son père insista pour qu'il reste couché, et Jack n'objecta pas. Il se plaisait dans sa chambre, dont la fenêtre donnait sur une cour pavée. Le planché était jonché de linge sale et de brouillons froissés sur lesquels étaient gribouillés des essais de traduction. Aux murs, les cartes de pays qui n'exsistaient plus depuis belle lurette : Union soviétique, Empire Ottoman, Autriche-Hongrie. Jack avait inauguré cette collection avec un plan de Zanzibar, juste après la mort de sa mère. Sur la commode, il avait posé la photo de celle-ci dans un cadre d'argent - une femme pâle de peau et sombre de cheveux, debout à un coin de rue new-yorkais. Le cliché était légèrement surexposé, mais Jack aimait le regard intense de sa mère, ainsi que la façon dont ses prunelles semblaient le suivre quand il se déplaçait dans sa chambre.

Il consacra la fin de la matinée à travailler sur le début du livre X des Métamorphoses. Peu après treize heures, son père cogna à la porte. Il apportait un repas de fête - des cheeseburgers bien gras achètes au fast-food voisin. Jack en avala trois avant de se remettre à sa traduction. Au bout de cinq, six lignes, il bâilla et referma le livre. Quelques minutes plus tard, il dormait.

À son réveil, il faisait sombre et une pluie glacée frappait le carreau. La chambre sentait le renfermé, comme l'intérieur d'un sous-marin. La tête encore embrumée de sommeil, Jack alla ouvrir la fenêtre. De l'air froid s'engouffra dans la pièce. En bas, les dalles de la cour luisaient. Attrapant un pull, il gagna le salon.

_ Papa ?

Pas de réaction. Où son père était-il parti ? Il contourna les piles de drachmes et de fossiles afin de regarder par la croisée qui offrait une vue sur l'autre aile du bâtiment. D'ordinaire, on apercevait les silhouettes d'étudiants dans leur chambre ou l'aura bleue de leur écran d'ordinateur. Le campus était désert à cause des fêtes, cependant, et pas une lumière ne brillait. Jack ne distingua qu'un seul visage — le sien, reflété sur la vitre.
La porte du bureau de son père claqua, Jack sursauta.

_Papa ?

Une fois encore, il n'obtint aucune réponse. Sur la pointe des pieds, il dépassa la poupée vaudou et s'approcha de la pièce. De derrière le battant lui parvinrent les grésillements continus d'un opéra diffusé par la radio classique que le Professeur aimait à écouter. Au moment où les choeurs enflaient, Jack respira un bon coup et tourna la poignée. La première chose qu'il remarqua, ce fut la fenêtre que le courant d'air avait ouverte ; elle laissait passer des grêlons qui atterrissaient sur la table de travail. Sans doute la raison pour laquelle la porte avait claqué. Souriant, Jack se rassura : ce n'était qu'une tempête.

Il se dirigea vers la croisée mais, au bout de trois pas, il se figea sur place. Un homme dégingandé aux cheveux gris ébouriffés était allongé sur le canapé en cuir, chaussures sur l'accoudoir. Jack le dévisagea, ahuri, cependant que l'inconnu l'ignorait, plongé dans la lecture d'une feuille de papier sur laquelle il promenait son doigt. Effrayé, Jack recula. Le parquet craqua, et l'intrus releva brièvement la tête avant de reporter son attention sur sa page.

_ Je n'aurais pas dû ouvrir le carreau, murmura-t-il en secouant le menton. Quel idiot je fais.

_Qui êtes-vous ? demanda le garçon.

Poussant un cri, l'autre bondit sur ses pieds en lâchant sa feuille. Les yeux exorbités, il fixa Jack. Pendant quelques secondes, tous deux se toisèrent, puis l'homme se rua vers la fenêtre et, sans un mot, sauta dehors.

Jack se précipita derrière lui et inspecta la cour. Nulle trace d'un corps. Les lieux étaient vides.

Lentement, il referma les vitres avant de s'appuyer dessus, histoire de reprendre ses esprits. Il avait les jambes en coton, et le sang battait à ses tempes. Il songea qu'il rêvait de nouveau, si ce n'est que, lorsqu'il se pinça, il eut mal. Se tournant vers le bureau de son père recouvert d'un fatras de papiers, il se rendit compte que le tiroir supérieur, toujours fermé à clé, béait. Il en effleura la poignée, tressaillit. Le bois était aussi glacé qu'une boule de neige. Il le referma d'un coup, retira vivement sa main.

Dans la pièce voisine, un fracas retentit, suivi par des martèlements de pas. Quelqu'un venait de rentrer dans l'appartement ! Jack cru qu'il s'agissait de l'inconnu qui, défiguré par sa chute sur les pavés de la cour, revenait, bras tendus, pour l'étrangler. Il fouilla des yeux le bureau, cherchant désespérément un endroit où se cacher. Il n'en eut pas le temps, l'intrus était juste derrière la porte. Se retournant, Jack brandit les poings.

_ Allez-vous en ! cria-t-il.

Le battant s'ouvrit à la volée.

_ Jack ? dit son père. Que se passe-t-il ?

_Papa ! souffla le garçon d'une voix tremblante en baissant les mains.

_ Et qui d'autre ? riposta le Professeur. Je suis juste sorti acheter le dîner 🍽. Qu'y a-t-il ? Tu vas bien ?

Il adressa un regard surpris à son fils, qui alla s'asseoir sur le canapé.

_ Ça va, répondit-il. Ç'est juste que...

« Un inconnu était allongé sur le divan, et il a sauté par la fenêtre...» Non, il ne pouvait dire cela. Son père risquait de le ramener illico à l'hôpital, au service psychiatrique cette fois.

_ Juste quoi ?

Le garçon secoua la tête.

_ Je vais te préparer du thé.

Jack acquiesça, et M. Perdu quitta la pièce. Il n'y avait qu'une explication rationnelle à ce qui venait d'arriver. L'accident dont il avait été victime avait endommagé son cerveau. L'homme et le tiroir ouvert était des hallucinations.

Mais soudain, ses yeux tombèrent sur la feuille que l'intrus avait lâchée et qui gisait toujours sur le sol. L'étrange visiteur l'avait-il prise dans le tiroir ? S'en approchant prudemment, Jack la poussa du pied. Elle ne disparut pas. Il la ramassa. C'était un vieux plan de Manhattan, comme il n'en avait jamais vu. Certaines sections de l'île étaient colorées en vert sombre, d'autres en vert clair, d'autres encore en orange. Était représenté aussi le quadrillage des rues, traversé par des lignes sinueuses vertes, peut-être le tracé du métro. Dans le coin supérieur gauche, des lettres ornementées à l'ancienne mode annonçaient :
« Carte sanitaire et topographique de la ville et de l'île de New York. Élaborée à la requête du conseil de l'hygiène et de la santé publique de l'Association des citoyens sous la direction de l'ingénieur Egbert L. Viele. »

Une date apparaissait dessous, minuscule : 1865. Plus bas encore, l'écriture en pattes de mouche du père de Jack avait ajouté un prénom : Anastasia.





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⏰ Dernière mise à jour : Jul 30, 2023 ⏰

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 •JACK PERDU• et le royaume des ombres | ✡ Où les histoires vivent. Découvrez maintenant