Le soir ~ tome 1

Chapitre 4 : De Cauterets à Paris

La maison d'Annie était très grande avec un immense jardin et une forêt entourant le tout. C'était très beau ! Je comprenais pourquoi Maman se plaisait tellement ici ! Ma nouvelle hôtesse a insisté pour me montrer ma chambre. Elle a tout de même fait l'effort de me parler en anglais, même si sa prononciation se rapprochait plus de la langue britannique. Ma chambre était immense ! Elle faisait, je crois, vingt mètres carrés. Elle se situait à l'étage, en dessous de toit, et les poutres apparentes lui offraient un côté chaleureux, malgré le fait qu'elle ne soit pas meublée... Je ne comprenais pas pourquoi elle voulait me donner tant d'espace pour moi toute seule. Elle ne me connaissait pas, mais elle était prête à m'offrir cette grande pièce pour moi toute seule. « Dans le grenier de l'autre côté de l'étage, il y a toutes sortes de meubles. Tu pourras choisir ceux que tu veux mettre dans ta chambre. Nat et Cédric viendront t'aider pour les porter et les installer. » Qui sont Nat et Cédric ? Qu'il n'y ait pas de garçons dans les parages aurait été trop beau ! J'étais certaine que leur comportement serait le même que celui des hommes des foyers, des profiteurs qui ne pensent qu'à leur plaisir masculin. Je sentais déjà le dégoût et une part de stress nouer mon estomac. 

Le lendemain, on frappa à la porte de la maison. Annie est allée ouvrir et deux garçons de mon âge ont fait éruption dans le salon. Maman a mis ses mains sur mes épaules, ce qui m'a fait sursauter. Elle n'a toujours pas compris que je n'aimais pas que l'on me touche... « Chara, je te présente Cédric et Nat, les neveux d'Annie. » Ses neveux !? Elle semblait bien jeune pour avoir des neveux. J'ai appris plus tard que sa grande sœur avait eu des jumeaux très jeune. Cédric était grand, les cheveux lisses et blonds, aux yeux marron. C'était vraiment l'apparence parfaite du garçon profiteur. Son frère, en revanche, était de taille moyenne, à l'époque, j'étais plus grande que lui, les cheveux bruns et frisés, aux yeux marrons. Il a baissé les yeux quand je l'ai regardé. C'était la première fois que je voyais un garçon timide. Ils étaient jumeaux, mais opposés en tout point, et pas que physiquement. L'un était extravagant, l'autre réservé. L'un était extraverti et l'autre solitaire. Je les ai salués d'un signe de la tête. Cédric a voulu s'approcher pour me serrer la main, mais il a vite compris que je ne voulais pas qu'il me touche. Ça l'a contrarié je crois. Il m'a ensuite dit qu'ils étaient venus pour m'aider à installer les meubles de ma chambre, comme prévu.
Nous avions beaucoup de mal à communiquer au début. Comme je ne parlais pas et que je ne comprenais pas le français, Cédric était dans l'incompréhension tandis que Nat ne bougeait que lorsque son frère lui demandait de l'aide. Ils ont fini par faire des gestes. C'était plus simple. Je ne savais pas pourquoi, mais Nat ne parlait pas non plus. C'était très étrange. Nous avons passé la journée à déplacer ou monter les meubles. J'avais trouvé deux canapés que j'ai placé à gauche de la chambre avec un tapis et une table basse. À droite, j'ai mis un lit deux places, deux commodes et un grand bureau. C'était vraiment immense ! En plus, j'ai découvert qu'il y avait une salle d'eau à l'étage en plus de celle du rez-de-chaussée. Cédric a voulu m'expliquer qu'elle était pour moi, mais je ne comprenais rien. C'est à ce moment là que Nat m'a parlé pour la première fois. Il s'est mis à traduire tout ce que son frère disait. Étonnement, il avait un très bon accent et ne faisait que quelques erreurs grammaticales, mais rarement. Cela m'a impressionné. Ils sont repartis le soir. À l'instant de leur départ, j'ai remarqué que Nat mefixait. Il me regardait avec de la compassion dans les yeux. Il semblait comprendre mon silence. Cela me donnait une sensation étrange. C'était la première fois que je voyais un garçon se comporter ainsi. Il était différent des autres. 

Le lendemain, Nat est venu avec des livres de français dans une grande poche. Je ne savais pas trop ce qu'il avait en tête, mais mon instinct me poussait à essayer de lui faire confiance. Il a littéralement pris en main le déroulement de la journée. D'abord, il a insisté pour que j'ai une bibliothèque dans ma chambre. Nous avons passé la matinée à la démonter dans le grenier pour la remonter dans ma chambre. Cela me faisait tout drôle. Tous ces meubles rien que pour moi ! Et puis, après le repas, nous avons dédié l'après-midi aux leçons. Ça a été très compliqué au début. Comme je ne parlais pas, Nat me faisait de grandesdémonstrations pour me montrer à quoi servent chaque phrase qu'il prononçait. Il m'expliquait en anglais, puis il me montrait. La plupart de ses mimes, un peu incompréhensibles, me faisaient sourire. Je commençais à me détendre. Je n'avais pas ressenti cette sensation de lâcher-prise depuis longtemps, et cela m'a fait du bien, je crois. La journée n'a quand même pas très bien finie, puisque j'ai fait une grosse crise de panique parce que j'avais prononcé un son en riant... C'était un rire naturel, mais cela m'a fait peur. Si je parle, je serais obligée de tout dire, je devrais expliquer à tout le monde ce qu'il s'est passé, et je ne le voulais pas. J'en étais tout simplement incapable ! Ma crise a fait peur à Nat, mais il est tout de même revenu le lendemain. Il avait vraiment quelque chose de spécial, que je n'avais jamais connu auparavant...