temps zéro

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Temps zéro

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Temps zéro

Madame,

Le souvenir de notre rencontre dans le parc Monceau, par cette belle après-midi ensoleillée de juin 1912, ne cesse de se dessiner dans ma tête, comme un flashback impétueux aux notes amères mêlées de sucré.

Je revois votre frêle silhouette, timide, jolie, vêtue d'une jupe longue vert d'eau découvrant vos chevilles délicates, ainsi que d'un ravissant chemisier blanc qui vous seyait au teint. Vous étiez coiffée d'un chapeau de paille, et vos lèvres, fines, peintes en rouge vif, ne souriaient pas.

Un enfant a crié dans le bac à sable, à deux pas du banc sur lequel vous étiez assise, et vous avez levé la tête, alertée par cet appel à l'aide qui n'en était pas un. Je me suis demandé si vous étiez mère. Vous n'en aviez pas l'air. Je n'aurais su dire pourquoi. Vous vous êtes redressée pour épousseter votre jupe et réajuster votre tenue. J'ai trouvé vos manières douces et maladroites ; cela m'a attendri.

Pour attirer votre attention, j'ai fait mine de laisser échapper de mes mains la mallette en cuir dont je prenais habituellement grand soin. Mon stratagème a eu l'effet escompté : vous vous êtes tournée dans ma direction, si lentement que je me suis senti bête d'avoir osé vous déranger, d'avoir eu le cran de perturber l'aura de paix dans laquelle vous paraissiez flotter. Finalement, nos regards se sont croisés pour la première fois. On entend souvent dire que les yeux sont les soupiraux de l'âme ; jamais je n'oublierai la triste couleur dont étaient teintés les vôtres, prunelles aux iris clairs et fatigués. Vous n'étiez pas comme les autres, vous sembliez absente, et c'est ce vide dans votre regard brisé que j'ai aimé, aussi fort que je vous ai aimée.

L'inconnu du parc Monceau

la valse à mille temps - emma bernardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant