Chapitre 4

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— Je me demande ce que je pourrais trouver dans sa salive, si j'en prélevais un échantillon pour examiner au labo.

— Elle a dû lui parler toute la nuit, la pauvre. J'espère au moins qu'elle a réussi à décrocher un rencard.

— Je n'en suis pas si sûr. Regardez ! Elle a critiqué mes « devinettes débiles », mais son niveau de conversation laisse à désirer. Tu m'étonnes qu'il ne lui ait pas répondu.

Depuis tout à l'heure, j'entends des voix retentir près de mon oreille. Elles sont aussi réelles que ce souffle chaud chatouillant mes narines. Quand j'ouvre les yeux, j'aperçois deux prunelles bleues me scruter minutieusement comme si j'étais une espèce de rat de laboratoire. Je me lève rapidement tout en essuyant le coin de ma bouche du revers de la main.

— Qu'est-ce que vous faites ?

— On te regardait dormir, répond Émilie.

— Un peu flippant, vous ne trouvez pas ?

— Pourquoi tu as dormi sur le canapé du salon ? s'enquiert Sianna.

— Je crois que je me suis endormie. C'est tout.

Soudain, mes yeux se dirigent vers la main droite d'Eliott qui tient mon téléphone. Il faut vraiment que je pense à changer mon mot de passe un de ces jours. Ces gens avec qui je vis ne sont pas normaux.

— Alors, il m'a répondu ?

— Sérieux, Laura ! s'exclame Eliott. Tu fais du surf en hiver ? Tu lui as réellement demandé ça ?

— J'étais fatiguée. Et puis, je ne suis pas très douée pour les chats.

— On a vu ça ouais, renchérit Sianna. Bon, on part au travail. Tu n'as qu'à te reposer aujourd'hui. Tu as vécu une journée stressante hier. Ne te prends pas la tête ! Tu commenceras à chercher du boulot demain. Regarde un peu Netflix et attends sa réponse.

Attendre sa réponse. S'il me répond, bien sûr !

— Je pourrai prélever un peu de ta salive ce soir ? demande Éms, déjà près de la porte.

Ma salive ? Mais qu'est-ce qu'elle raconte ?

Eliott la pousse vers la sortie sans lui laisser le temps de s'expliquer. Ses idées sont tellement saugrenues. Toujours debout, je balaie le salon du regard, sans trop savoir quoi faire de ma journée. C'est un jeudi. Les gens travaillent, vont à l'école le jeudi. Pas Laura. Laura reste à la maison le jeudi, et probablement, tous les prochains jours de la semaine.

Deux heures plus tard, j'ai pris un café, mais pas seulement. J'ai rangé l'appart en ramassant tous les verres qu'Émilie a l'habitude de laisser traîner. J'ai passé l'aspirateur et ai lavé la vaisselle. Et maintenant, l'absence de tâches à réaliser m'incite à réfléchir sur mon problème primaire : le chômage. Malgré le gentil conseil de Sianna, il est difficile de ne pas y penser.

J'hésite à appeler Landon pour lui dire que je n'ai plus de boulot. Je ne veux pas entendre un sermon du fils prodige, mais il pourrait peut-être me trouver quelque chose en tant qu'assistante administrative dans l'entreprise où il travaille. Je pourrais même être son assistante. Ce ne sera pas dans le domaine du marketing, toutefois, ça pourrait m'aider, ne serait-ce que temporairement, jusqu'à ce que je décroche un job dans ma spécialité.

Mon frère bosse dans le service juridique d'une multinationale. Ce type d'entreprise embauche des gens tout le temps. Je ne côtoie pas le népotisme, mais en temps de crise... Et puis, je ne vais pas lui demander de m'engager directement, j'aimerais seulement avoir l'opportunité d'y passer un entretien. J'inspire un coup avant de pianoter son numéro privé. Je le connais par cœur.

C'est encore une de ces listes que j'aime dresser. Je retiens tous les numéros que je considère comme importants et qui pourraient me servir si je me retrouvais un jour sans téléphone. Adolescente, je faisais souvent ce cauchemar où j'étais toute seule, au milieu de nulle part, sans portable. Il y avait bien un vieux téléphone filaire à l'intérieur d'une maison abandonnée, mais je ne me souvenais du numéro de personne. C'était tellement angoissant.

Il répond à la première sonnerie.

— Laura, ça va ? Il y a un problème ? C'est maman et papa ?

— Non, il n'y a pas de problème. Pourquoi tu supposes toujours le pire quand je t'appelle ?

Bon, techniquement, il y a un problème. Mais je n'ai pas envie de lui donner raison dès le début de notre conversation.

— Peut-être parce que tu ne m'appelles jamais. Et quand ça arrive, c'est toujours pour te sortir d'un pétrin.

— C'est pour ça que je ne t'appelle jamais. Tu as systématiquement quelque chose à dire contre moi. Si tu veux savoir, je ne suis pas toujours dans le pétrin. Ce n'est pas une situation courante dans ma vie.

— D'accord, excuse-moi. Alors, pourquoi tu m'appelles ?

— J'ai besoin d'un travail.

Je l'entends ricaner à l'autre bout du fil. Je peux même imaginer le sourire arrogant de celui qui est satisfait d'avoir raison encore une fois. Son ricanement s'arrête brutalement lorsqu'une voix masculine l'interpelle.

— Tu es prêt ? Ça va commencer.

— Une minute mec, répond-il à son interlocuteur. J'arrive. Laura, il faut que j'y aille. Je verrai ce que je peux faire, d'accord ?

— Ok.

Il raccroche. Un échange concis et précis comme toujours. Mon frère est très occupé. Il travaille beaucoup trop. Un vrai avocat d'affaires qui n'a jamais le temps pour ses êtres chers.

Ni pour les relations amoureuses.

C'est le point commun entre nous deux. Nos relations amoureuses ne marchent pas. Dans mon cas, ce sont les autres qui foirent. Dans son cas, c'est lui. Apparemment, il ne faut pas associer son statut professionnel élevé à sa maturité relationnelle. À croire que, quand nos parents nous ont mis au monde, ils ont oublié d'ajouter cet ingrédient-là à leur recette.

Smartphone à la main, je fixe l'icône de l'appli de rencontre, comme si une notification pouvait apparaître miraculeusement, rien qu'avec ce geste. C'est stupide. J'espère que je ne vais pas perdre ce défi débile avant même de l'avoir commencé. Je n'ai vraiment pas envie d'essuyer un nouvel échec. Pas dans les vingt-quatre heures ayant suivi le précédent, en tout cas. Tout à coup, je sens mon cœur faire un saut périlleux, menaçant de s'échapper de ma poitrine.

@Surfguy : Salut ! Désolé de ne te répondre que maintenant. Quand ton dernier message est arrivé, je dormais déjà. Réunion importante ce matin. On peut se parler ce soir ? Après le dîner ?

@Looking4Mr.Right : Salut, ne t'inquiète pas. J'avais un boulot à finir hier aussi. Ça marche pour ce soir.

@Surfguy : Super, à ce soir alors !

@Looking4Mr.Right : À plus !

Quand j'envoie mon message, je me rends compte de ma stupidité inouïe.

D'abord, je lui mens. Le seul boulot que j'avais hier soir était celui de décrocher onze rencards avec lui.

Ensuite,je lui réponds aussi vite qu'une ado désespérée. C'est quoi mon problème ?

11 FAKE DATESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant