Je me tiens là, dans une aube timide au pied des remparts, le corps droit et le visage fermé. Mon armure commence à me peser sur les épaules mais je suis trop concentré pour y accorder plus d'importance que ce simple ressenti. Levant les yeux vers le ciel, je m'aperçois qu'il commence à rosir. Tout va bientôt commencer.
Les autres soldats massés autour de moi commencent aussi à s'impatienter, mais le calme et la discipline sont de mise. Je me dresse sur la pointe des pieds et regarde autour de moi. Vers le Sud comme vers le Nord, notre armée s'étend plus loin que mon regard ne porte. Je ne suis qu'un parmi des milliers, une goutte dans une mer d'hommes et d'acier, recouverte de l'ombre impénétrable de l'écrasante muraille qui se dresse fièrement dans notre dos.
Ce n'est pas ma première bataille. Mon existence entière a été dédiée à notre roi et à la protection de son royaume. Cependant sous mon calme apparent je ne suis pas serein ; je ne suis pas apeuré non plus. Le mot exact pour décrire ce que je ressens serai plutôt l'excitation. Cette fois-ci, rien ne sera pareil.
Face à nous se dresse une immense tour. Une centaine d'hommes se tenant par la main n'aurait pu en enlacer complètement la base. Bâtis d'une pierre blanche, elle s'élance insolemment vers les cieux, surplombant d'un tiers de sa taille l'enceinte de la cité. C'est là-haut que réside notre roi, défiant ouvertement les dieux. Si les murs de la ville sont le reflet de son armée, le donjon est celui de son souverain.
Enfin les premiers rayons de soleil atteignent le toit de l'édifice, révélant les ardoises finement taillées qui le recouvrent. La démarcation horizontale entre l'ombre et la lumière semble alors courir le long de l'abrupte pente du toit, accélérant toujours plus. A l'apogée de sa course, un silence écrasant tombe sur l'assemblée. Je retiens mon souffle.
C'est alors que notre roi, jusqu'ici invisible, s'avance sur le balcon.
Semblant venir du cœur même de la Terre, une clameur d'une puissance inouïe s'élève, véritable démonstration de notre force et de notre allégeance à cet homme. Nous avons tous ici-bas une confiance aveugle en lui. Croire en lui, c'est avant tout croire en nous, en notre force et notre courage. Un souverain ne saurait exister sans son peuple et celui-ci ne pourrait atteindre son paroxysme sans un roi. C'est pourquoi je hurle aussi.
Après quelques minutes les cris s'estompent. Quand leurs derniers échos meurent, le temps semble se figer. Alors que l'astre solaire continue son inexorable traversée des cieux, ses rayons de lumière viennent s'écraser sur notre roi puis, déviés par son armure désormais flamboyante, ils éclaboussent les environs sur des centaines de mètres, nous illuminant d'un coup. Cet homme est notre protecteur et notre guide au travers les ténèbres. Rien n'est plus honorant que de baigner ainsi dans sa lumière.
Lentement il écarte les bras, puis embrasse d'un regard cette marée d'hommes que nous formons.
- Soldats !
Sa voix tonne comme un éclair. Alors, lui faisant écho, la clameur générale reprend plus fort encore qu'auparavant.
- Je suis fier d'être votre roi. Regardez-vous ! Sentez cette puissance qui émane de vous ! Y a-t-il une seule armée en ce monde qui puisse prétendre être votre rivale ?
Partout les hommes exultent, je me sens moi-même sur le point d'exploser. Nos hurlements devenus bestiaux nous paraissent s'élever jusqu'aux cieux, ils se mélangent et nous unissent. Nous ne sommes désormais plus qu'un.
- Soldats ! Ces derniers temps furent difficiles. Mais il n'y a plus de place dans nos cœurs pour des regrets ou des pleurs. Car aujourd'hui, une fois encore, nous partons au combat ! Aujourd'hui, une fois encore, nous écrivons notre légende ! Aujourd'hui, une fois encore... Nous vaincrons !
Aucun mot ne saurait décrire l'état de transe dans lequel je me trouve. Soudain un grondement sourd résonne dans notre dos, couvrant une partie des beuglements. Ce sont les portes de la cité qui s'ouvrent. Suivant le mouvement de la masse unie que nous formons, je me retourne pour faire face à mon destin. Dans un ultime claquement, les massives portes s'immobilisent. Mon esprit se vide d'un coup et un frisson d'excitation nous parcourt tous au même instant. Celui d'après, rugissant à pleins poumons, nous nous élançons vers le soleil levant.

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Nouvelles, scènes et autres poèmes
De TodoJe pose ici différents écrits plutôt variés, sans forcément de liens entre eux, ce sont juste des choses que j'avais envie d'écrire !