L.
euh. bonjour. je viens... je viens pour me confesser.
PRÊTRE
voulez-vous conserver votre anonymat, laisser flotter un voile de doute sur votre identité ?
L.
oui. vous n'aimeriez pas me voir.
PRÊTRE
je n'ai aucune raison de vous détester. je me dois d'accepter tous les fidèles qui viennent me confier — confier à notre dieu — leurs fautes, leurs défauts et parfois leurs idylles.
L. (légèrement moqueur, plaisantin)
ne me dites pas que vous ne jugez jamais les gens qui viennent vous voir ici. je ne vous croirai pas.
PRÊTRE (éludant la remarque, la laissant s'évaporer)
depuis quand ne vous êtes vous pas confessé ?
L.
je ne suis pas croyant.
PRÊTRE (exagérant volontairement la désapprobation dans sa voix)
pourquoi donc êtes vous là ?
L.
je vous l'ai dit. je veux me confesser.
PRÊTRE (déjà lassé)
comment voulez vous vous confesser si vous ne croyez pas en dieu ? à qui voulez-vous donc confier vos péchés ? qui vous pardonnera si ce n'est pas dieu ? ce monde ne vous pardonnera pas, vous ne vous pardonnerez pas.
L.
qui a dit que je voulais être pardonné ? le pardon ne m'intéresse pas. il résulte d'une faute, d'un échec, de l'abandon ; je ne connais rien de tout ça. je ne veux pas le connaître.
PRÊTRE
alors, je vous le demande encore une fois : pourquoi êtes-vous venu ?
L.
vous savez, je déteste l'église, l'institution je veux dire. je déteste la religion. mais je voue une profonde admiration, une vraie passion, un légitime amour pour les églises. je... j'aime tout particulièrement leurs voûtes célestes, leur fraîcheur incommensurable, leur immensité si dérangeante parfois. s'en est même à se demander — souvent — pourquoi un bâtiment aussi envoûtant est l'abri de cette religion que je déteste tant.
PRÊTE (hésitant)
je pense que vous devriez partir.
L. (d'une petite voix, une voix d'enfant)
j'aimerai juste me confesser. vous savez pourquoi j'aime tant les églises ?
PRÊTRE
non.
L.
ce que je vais dire va vous déranger. je ne devrai pas vous dire ce que je vais dire. ça dérange toujours. ça va vous déranger, je le sais.
(marque une pause, attend une réponse qui ne vient pas)
j'ai embrassé un garçon dans une église. pardon, c'était dans une chapelle. ce garçon s'appelait E. et désormais c'est un homme. je ne le connais plus. je ne l'embrasse plus, ni dans les chapelles, ni nulle part. j'ai embrassé ce garçon dans une chapelle en 88, je crois. le temps passe vite vous ne trouvez pas. il avait la quinzaine, il me semble. j'étais un peu plus âgé que lui — je le suis toujours. à moins qu'il ne soit mort, je ne sais pas. je ne le saurai jamais. je suis sûr que ce que je dis vous dérange. ça vous dérange n'est-ce pas ?
PRÊTRE
vous n'êtes pas croyant, ça ne me dérange pas.
L.
ça vous dérangerait si c'était un croyant qui vous disait cela ?
PRÊTRE
peut-être. je n'en suis pas sûr. je ne pense pas.
L. (avec un soupçon d'hésitation, de retenue)
je peux vous demander quelque chose ?
PRÊTRE (intrigué, sûrement contre son gré)
oui ?
L. (inspire et expire fort)
quel âge avez-vous ?
PRÊTRE (lâche un petit rire)
quel âge me donnez vous ?
L.
si je trouve — avec une marge d'erreur de cinq années — je peux continuer à vous parler ? pardon, à me confesser. si j'échoue je m'en vais et vous soupirerez de soulagement de me voir ainsi parti, enfui.
PRÊTRE
d'accord.
L.
je pense que vous avez trente quatre ans.
(laisse passer une seconde de silence pur, semblable à de l'absence dure)
alors ? avez-vous entre vingt neuf et trente neuf ans ? je veux encore vous parler, j'espère que vous avez entre vingt neuf et trente neuf ans.
PRÊTRE
je vous écoute.
(silence)
j'ai trente six ans.
L.
vous avez trente six ans ? j'ai trente cinq ans demain.
(silence, si lent)
j'aime vous parlez. pardon, me confesser à vous.
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ils se connaissent ; ainsi soit-il
Short Story《 euh. bonjour. je viens... je viens pour me confesser. 》 07.22