L.
ça ne vous dérange pas si je continue à vous parler de ma passion pour les églises ? cette passion transcendante qui brûle au fond de moi et qui rugit comme si elle était folle, comme si je n'étais qu'un fou.
PRÊTRE
cela ne me dérange pas, non.
L.
parfois, je pense que je suis fou. c'est ce que les gens disent. ne pensez pas que je me préoccupe de ce que les gens disent ; ils disent ce qu'ils veulent. mais il m'arrive de penser que je ne suis qu'outrage et indignation. c'est visible dans le regard des gens, ça saute aux yeux ; ils voudraient me punir, me condamner, me tuer. ils me regardent. ils sont méprisants, ils me regardent toujours et je sens qu'ils veulent me tuer.
(marque une pause, un tremblement soudain dans la voix)
vous savez, ma mère a essayé de me tuer. j'étais encore un bébé. je crois que c'est pour ça que les gens veulent tous me tuer. vous comprenez, non ? ce sentiment d'imposture, cette impression tenace d'être de trop, de toujours déplaire, cette sensation vicieuse qui pousse à s'effacer et à venir se recueillir dans un lieu de culte en ayant un dégoût profond de la religion qu'il abrite. vous comprenez, n'est-ce pas ?
PRÊTRE (pensif)
c'est la première fois que j'ai affaire à quelqu'un comme vous. nous ne pouvons nous voir et pourtant je vous imagine comme je n'ai jamais réussi à imaginer tous les autres.
L.
comment me pensez-vous ?
PRÊTRE
vous souhaitez vous confesser mais qu'avez vous réellement à avouer ? vous ne parlez de vous qu'à demi, ce que vous avez fait est si dur à dire ?
L.
pourquoi ne répondez-vous pas à ma question ?
PRÊTRE
et vous à la mienne ?
L. (dans le sursaut d'un sourire)
comment me pensez-vous ?
PRÊTRE
je ne vous vois pas. je ne vous vois pas mais vous avez des yeux marrons assez clairs. ils tirent parfois vers le vert, au soleil surtout. votre regard est tranchant, décisif et personne ne résiste jamais à la tentation qu'il appelle. vous avez un sourire narquois, taquin peut-être, empli de malice. vos lèvres sont sûrement gercées, abîmées par le froid de vos émotions et la brutalité de vos amours. vous avez des cheveux noirs, un noir profond, un noir qui attire le danger. vos cheveux sont ébouriffés, jamais coiffés. vous avez des cheveux pagailles. il y a des boucles à vos oreilles, noires ou peut-être argent et des bagues à vos doigts. je ne vous vois pas, je les entends. vous êtes petit mais longiligne, sûrement amaigri par le dessèchement certain de votre corps. vous avez le teint hâlé de part votre naissance. ça aussi je l'entends, votre accent. mais votre peau pâlit de jour en jour parce que, quoiqu'il arrive, vous dépérisserez. vous avez un tatouage sur le bras droit, un tatouage raté, dissimulé, pourri. il doit être le fruit d'un amour déçu, probablement déchu. un amour comme celui avec E. , avec tant d'autres. un amour avec le monde peut-être, ce monde méprisant que désormais vous parvenez à mépriser. c'est pour ça que vous êtes là non ? parce que vous avez un mépris de tout et surtout de vous-même. vous êtes ainsi. je ne vous vois pas.
L.
je suis ainsi.
PRÊTRE
alors, vous êtes ici pour étaler votre mépris ?
L. (murmure, parle aux étoiles)
oui.
PRÊTRE
me méprisez-vous ?
L.
vous êtes l'église, l'institution je veux dire. je vous méprise forcément. mais ici, vous n'êtes qu'un prêtre. si seulement je connaissais votre prénom. si seulement je pouvais le chuchoter de la même façon qu'on chuchote les mots interdits, les mots qui dérangent. si j'étais un mot je serai le mot désir. je vous sens tressaillir dans l'ombre à son entente. ce mot vous dérange, n'est-ce pas ? si seulement je connaissais votre prénom. ainsi, vous ne seriez plus prêtre. je seulement je pouvais vous connaître.
PRÊTRE
anton. c'est mon prénom.
(marque une pause)
en grec ça veut dire qui se nourrit de fleurs. et vous quel est votre prénom ?
L. (silence, si lent)
je n'en ai pas. et quand bien même j'en aurai un, je ne vous le dirai pas. appelez moi L. ou ne m'appelez pas.
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ils se connaissent ; ainsi soit-il
Short Story《 euh. bonjour. je viens... je viens pour me confesser. 》 07.22