Premier Chapitre : Une Vie Sans Fin

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101 après la Fin de la Terreur, abrégé f.t., Sumstra, Ile Occidentale.

Jour 36 816, Drakor, Mondia de la première semaine. Je viens de finir ce premier voyage du centenaire. J'ai parcouru le monde entier, exploré des terres oubliées, rencontré des myriades de peuples et, déjà, l'oubli règne. Rares sont ceux qui s'en souviennent encore, qui se souviennent de ce qu'il se passa il y a 100 ans. Et la terre n'a plus de séquelles pour ceux qui n'étaient pas là. Pourtant, chacun de mes pas me rappelle ce jour funeste. Alors que j'arpente les ruines de ce qui fut la plus vivante des villes, leurs visages me reviennent, leurs voix, leurs joies, leurs espoirs, leurs convictions, leurs peurs, leurs tristesses, leurs supplications. Sa supplication... Toutefois, le destin m'oblige. Nous ne pouvons pas reproduire nos erreurs. Et si pour ce faire, je me dois de sacrifier quasiment toute ma vie, alors soit.

Le temps de ce monologue, j'arrive enfin devant la tour. Toujours là, imposante, intacte, abreuvant ces terres mortes de sa blanche lueur. Mais en une seconde, tout son éclat disparaît. La magie fait son œuvre, ma magie. En frappant le sol avec ma patte, je finis l'incantation du scellement. Tant qu'il est actif, personne, mais à part moi, ne peut rentrer dans cette tour. Personne ne doit rentrer en contact avec ces connaissances. Plus personne ne doit connaitre son emplacement. Et moi, Reij'a, Gardien de l'oubli, je m'en assurerai encore, tous comme ses cent dernières années, et pour plus encore... Telle est ma mission. Tel est mon suprême honneur.


734 après f.t., Sumsutra, Ile Occidentale.

Jour 267 238, Drakor, Venenia de la deuxième semaine. Toujours et encore le même regard. Jour après jour, ce sont ces yeux qui m'extirpent des bras de Mirani. La même routine qui se répète, inlassablement. Je bondis de l'arbre que j'ai réussi à faire pousser, une chose remarquable ici. Arrivée au sol je me mets à sprinter. Mais un bruit vient résonner dans les ruines. Et jamais rien ne résonne ici. Même mes griffes, qui touchent les antiques pavés, ne font plus de bruit. Je me faufile au milieu de ce dédale en ruine que je ne connais que trop bien. Je le sens, je l'entends, je me rapproche du bruit. J'arrive dans une impasse. Mais la nature du bruit reste inconnue. Alors pour éviter toute catastrophe, j'agis en premier.

Reij'a – Quittez ces lieux immédiatement !

Et je m'arrête net. Ma voie fit exploser le mur en face de moi, laissant entrevoir la chose.

Reij'a – Je vous ai !

Et je puis voir enfin ce qui faisait tout ce vacarme... Un... Un lapin d'Iruka ?!? Je... On... Mais que fait-il ici ? D'où vient-il ? Son espèce a disparu pourtant... Mais je n'ai pas le temps de me poser plus de questions, le lapin s'enfuit. Mon apparence n'a pas dû le rassurer. Je peux le comprendre. Après cet événement, je retourne sur l'esplanade de la tour, comme chaque jour. Quoique cet interlude animal m'ait changé. En règle générale, je ne trouve que des ennemis ici. Toujours, ils continuent de vouloir percer les mystères de ce lieu. Pourtant, ils savent, leurs légendes sont claires, « une bête féroce, armé d'une magie antique, garde la mystérieuse seizième ». Et puis même, la vie n'est jamais réellement réapparue ici. C'est un fait. C'est comme ça. Même ma magie n'y serait faire quelque chose. À moins que dans mes voyages j'aie été aveugle aux changements des îles... Non, impossible, les îles ne changent pas. Elles restent, figées dans le temps... comme leur gardien...

Elles restent figées et oubliées... Oublié de ceux qui avaient promis... De ceux qui avaient juré. Ceux-là même qui me quémandent. Ceux-là même qui ont besoin de mon aide. Finalement, ils ne me retournent plus la pareille. Qu'ils prennent gardent. Car je reste là, figé, éternel veilleur. Et le veilleur n'oublie pas, non. Il n'oublie jamais. Je n'oublie jamais.


1867 après f.t., Sumsutra Ile Occidentale.

Jour 679 659, Drakor, Rornia de la troisième semaine. Cette fois-ci, je me réveille en sueur. Son regard m'a transpercé de part en part. Il me jugeait...

Reij'a – Mais je ne pouvais rien faire !!!

Pour une fois, j'ai dormi dans les ruines d'une maison. Mais elle n'a pas résisté à mon rugissement de terreur, qui fit trembler les murs décrépis. Et les rares formes de vie des ruines ont toutes fui. Je crois même entendre un mur s'écrouler, mais je ne m'en préoccupe pas...

Reij'a – Je l'ai repassée encore et encore, tu m'entends... Cette journée... Celle qui nous condamna tous les deux... Je ne cesse de voir ton regard. Chaque fois que je ferme les yeux. Chaque fois que je suis seul. Chaque fois qu'un silence se pose... Les autres ont oublié, mais moi, jamais, je ne t'oublierai... J'ai fait et refait tous les scénarios possibles. Et à chaque fois, à chaque fois... Tu meurs ! Tu m'entends !? Tu meurs ! Encore et encore... Et je ne peux rien y faire ! J'en suis incapable... Ent... Entends-moi... Réponds-moi... Re... Reij'a


2314 après f.t., Sumsutra, Ile Occidentale.

Jour 842 417, Kumandra, Kalistia de la troisième semaine. Je suis fatigué. Je suis épuisé. Ce compteur dans ma date ne cesse de grandir. Les jours passent, défilent, courent devant moi. Chaque jour, je reproduis ce que j'ai fait la veille. Je me lève, je me dirige vers l'esplanade de la tour puis j'y reste. Là, aujourd'hui comme hier et demain, j'y suis, stoïque, telle une statue de marbre blanc. Seul. Toujours seul. Personne n'est là pour m'aider. Tous, ils ont oubliés. Tous, ils m'ont oublié. Ils ont tout oublié. Absolument. Tout. À chacun de mes voyages, on m'acclame. On me célèbre. J'apporte conseil et bonheur. J'affiche ce sourire protecteur devant le monde. Je suis poli, courtois, serviable. Je ne réclame jamais rien si ce n'est leur sourire. Mais cela fait depuis bien longtemps que je n'ai plus ce sourire, que je ne souris plus réellement. Plus aucune naissance ne m'émerveille. Plus aucune mort ne m'attriste. Plus aucun paysage ne me surprend. Plus aucune créature ne m'effraie. Rien ne me surprend et rien ne me choque. Mais il faut qu'ils y croient. Ils doivent y croire, tous. Le monde doit toujours penser que je ressens encore toutes ces choses. Sinon il pourrait me croire capable de les tuer, de mettre fin à ce monde... Ironiques, ils ont peur de moi en leur plus for intérieur. Et en même temps, ce serait si simple. En un claquement de doigt. Je pourrais enfin en finir. Pourtant, c'est moi qui me suis dévoué, c'est moi qui ai accepté ce rôle. Moi qui aime enseigner, je me suis restreint au silence pour ce monde. C'est moi qui nous protège de ce funeste destin. Et si je ne le fais pas, alors j'aurais réellement sacrifié ma vie pour rien. Ont-ils eux aussi oublié les mots de leurs prédécesseurs ? Moi, je ne les ai pas oubliés.

Reij'a, à demi-mot, s'adressant aux statues de l'esplanade dans un moment de profonde détresse - Nous t'infligeons l'oubli éternel. Ton seul but à travers le temps sera d'être le gardien immuable de l'oubli. Ta seule compagne sera la solitude. Ta seule certitude, celle d'être le sacrifice de ce monde... Et nous implorons les Sept Dieux, car si le serment est rompu... reçoit les honneurs, car ton sacrifice aux limbes du temps nous offrira un monde. C'est ton sacrifice qui permettra aux futurs nouveau-nés d'ouvrir les yeux. Et c'est ton sacrifice qui permettra à chacun de mourir quand le destin en aura voulu ainsi... Nous ne t'oublierons pas...

Et le silence revient pour seule compagnie dans ce lieu.

Reij'a – Je... Je le connais encore... Je pensais l'avoir oublié... Non... Je l'avais oublié... J'en ai oublié... Leur sens... Ces mots...

Reij'a en colère – Avez-vous oublié ces mots archimages ? Où donc est votre soutien ? Êtes-vous là ! avec moi ? Pour m'aider ? !

Et des larmes commencèrent à couler, des larmes de colères et de tristesses...

Reij'a – et vous, divinités de cette planète... cette bénédiction... cette vie sans fin... pourquoi ? Ô. Thessoua. Ô. Canvas. Ne pouvez-vous pas me répondre ?

Ça ne sert à rien. Ça n'a jamais servi. Toutes ces questions resteront lettre morte. Mais qu'importe. J'accomplirai mon devoir. Moi, Reij'a, Grand érudit, protecteur de ce monde et gardien de l'oubli...

Arlathan aka Endaranna

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PS : pour rappel, cette histoire a un autre point de vue. Allez sur @NewDiamondsYT pour le retrouver !

PS2 : si vous voulez retrouver l'artiste du média (idée de vue de la capitale en ruine), voici son artstation Mike Luard

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 21, 2023 ⏰

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𝓛𝓪 𝓜𝔂𝓼𝓽é𝓻𝓲𝓮𝓾𝓼𝓮 𝓥𝓸𝔂𝓪𝓰𝓮𝓾𝓼𝓮 𝓭'𝓗𝓾'𝓗𝓪𝓪𝓷𝓪Où les histoires vivent. Découvrez maintenant