Prologue

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Washington D.C., bureaux de l'Agence, 13 octobre 2012

Complètement épuisée, Élisabeth frotta ses yeux secs et rougis, autant par le manque de sommeil que par cette dernière demi-heure passée devant son écran. Elle détestait vraiment taper des rapports, et elle détestait encore plus quand son binôme trouvait une excuse bidon pour fuir et lui laisser tout le travail. Elle se jura de faire honneur à cette tradition, une fois qu'elle aurait acquis suffisamment d'ancienneté et qu'elle se verra attribuer un esclave.

La jeune femme soupira en regardant l'heure indiquée sur l'écran de son ordinateur. 02h05. Maintenant qu'elle avait cessé de taper frénétiquement sur son clavier, elle pouvait profiter du silence du vaste open-space. Éclairés par d'énormes néons alignés avec une précision militaire de bout en bout de la pièce, les bureaux de ses collègues, tous identiques au sien, étaient rangés en colonnes tels des pupitres dans une salle de classe. Malgré les efforts de certains pour égayer leur espace personnel grâce à des photos de famille ou des objets colorés, souvent de mauvais goût, la pièce semblait austère, et endormie. Même les lécheurs de bottes les plus tenaces n'étaient pas assez fous pour traîner dans les bureaux, un samedi, après 22h, juste pour taper un rapport. Maintenant qu'elle y pensait, elle aurait pu rentrer chez elle, profiter de son lit douillet et de son mari, après que Morgan s'était éclipsé. Mari, d'ailleurs, qui ne manquerait pas de lui en vouloir. Elle lui avait promis qu'elle rentrerait tôt, et avait oublié de le prévenir de son retard. Elle soupira une nouvelle fois, et ses épaules s'affaissèrent de dépit. Pour se remonter le moral, elle se dit que la directrice était peut-être encore là, et qu'elle avait peut-être marqué des points. Ce n'était pas impossible, cette femme paraissait infatigable autant qu'elle était compétente, et évidemment il valait mieux l'avoir comme amie que comme ennemie. Un jour, elle en était sûre, elle prendrait sa place et c'est elle qu'on essaierait d'impressionner en restant tard au bureau.

Sur cette pensée, et décidée à lever le camp, Élisabeth verrouilla sa session et s'aperçut qu'elle avait encore perdu son badge, quelque part sur son bureau. Lorsque quelqu'un tentait de définir le bureau d'Élisabeth, souk, foutoir et capharnaüm étaient les termes qui revenaient le plus souvent. Le fait que les cadres des photos d'Éric et de ses deux chats n'aient pas encore fini sur le sol était un miracle. La jeune femme commença à fouiller, emplissant la salle d'une soudaine cacophonie de papier froissé et de stylos rebondissant sur le sol dallé. Ce n'est que lorsqu'il lui vint l'idée de soulever son clavier qu'elle trouva son précieux. Elle avait pris l'habitude de l'enlever à son bureau, cela gâchait son décolleté, en plus d'abîmer ses vêtements en cas d'accrochage.

Après avoir ramassé les objets échoués par terre et avoir donné tant bien que mal un aspect « à peu près rangé » à son espace de travail, Élisabeth passa le cordon de son badge autour de son cou et, d'un geste souple, libéra sa chevelure blonde de son emprise. Elle ouvrit ensuite son sac et en sortit un paquet de cigarettes, qu'elle trouva anormalement léger. Elle était persuadée d'en avoir glissé un neuf dans son sac mardi dernier, la veille de son départ en mission, et elle avait dû en fumer 4 à tout casser, depuis. Morgan et elle avaient à peine eu le temps de respirer pendant leur escapade dans le Bronx. Sauf que... Élisabeth marmonna un juron et ouvrit fébrilement le paquet. Elle venait de se souvenir de son bref saut à l'agence avant de partir, et surtout d'avoir laissé son sac sans surveillance le temps d'aller parler à son superviseur. Un petit morceau de papier plié se trouvait en lieu et place de ses petits plaisirs en tube.

Lincoln.

S'interdisant de s'énerver, la jeune femme sortit le papier du paquet et le déplia, pour découvrir les mots «Je suis avec toi» écrits en rouge d'une écriture soignée et suivis d'un petit cœur qu'il avait même pris le temps de colorier. Tout en notant mentalement de ne plus jamais parler à Lincoln de ses souhaits de mettre fin à une addiction ou même de perdre du poids, Élisabeth replia consciencieusement la note et la glissa dans le paquet, puis perdit son sang-froid et écrasa le tout en une petite boule qu'elle jeta rageusement dans sa corbeille à papier. Elle allait devoir aller mendier, comme une misérable, une cigarette au garde de nuit, qui la gratifiaient toujours de regards insistants et de sous-entendus graveleux, si elle avait le malheur de lui adresser la parole.

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