AlissaNation

Chapitre 1

McLean, 2018

Appuyée au chambranle de la porte de la cuisine, Alissa observait discrètement Morgan, qui s'affairait autour d'une marmite fumante. À côté de lui, un petit couteau était planté dans la terre d'un plant de basilic, dont il était en train de rincer les feuilles. Alissa resta un moment fascinée par le mouvement de ses muscles sous sa peau nue parsemée de gouttes de sueur et d'eau. Une odeur de tomates montait dans la chaleur humide de la pièce. Elle regretta aussitôt de ne pas s'être levée plus tôt. Elle aurait eu le loisir de voir ses biceps et ses abdominaux se contracter au rythme des coups de pilon sur les tomates mûres qu'il aurait préalablement découpées et placées dans le mortier et puis...

- Salut toi !

Alissa sursauta. Les yeux gris-verts de Morgan, encadrés par une longue chevelure brune, étaient fixés sur elle. Elle, de son côté, tentait de tenir son regard à l'écart de ses muscles pectoraux, qui tressautaient tandis qu'il s'essuyait les mains dans un torchon, et de retenir le sourire béat qu'elle affiche habituellement quand elle regarde un acteur au physique de dieu grec. Elle se dit, avec un petit sourire, que c'était vraiment un miracle qu'il ne se soit pas aperçu, en six ans de vie commune - mais pas dans le sens qu'elle souhaiterait - de l'effet qu'il lui faisait. Attirée autant par les effluves que par son colocataire, Alissa pénétra dans la pièce. Tout en laissant une distance de sécurité plus que convenable, elle s'approcha pour mieux voir le contenu de la casserole qui commençait à bouillir.

Morgan retourna à sa marmite, en touilla un peu sa mixture puis, satisfait, baissa le feu et en remplit la cuillère en bois, avant de se retourner vers Alissa.

- Tu veux goûter ? demanda-t-il en s'approchant d'elle d'une démarche assurée.- Non, merci, répondit Alissa en affichant un sourire poli.

Mais elle s'aperçut vite que Morgan n'avait pas pris son refus en compte, et continuait d'avancer vers elle. Elle recula promptement, mais finit par percuter un meuble. Elle n'était décidément pas douée pour évaluer les distances. Elle réalisa alors que Morgan était maintenant trop proche d'elle pour pouvoir éviter la séance de dégustation sans risquer de ruiner la tenue qu'elle avait choisi la veille en prévision de son premier jour de travail.

- Beaucoup trop près, dit une voix dans sa tête, qu'elle identifia comme celle de Miranda.

Un rictus apparut sur son visage quand Alissa se dit que Samantha, l'autre entité qui avait élu domicile dans sa tête à son adolescence, ne serait pas de cet avis.

- Goûte, ordonna Morgan avec une voix menaçante.

Alissa écarquilla les yeux en réalisant que Morgan avait fait disparaître la distance entre eux en un temps record, et envahissait maintenant son espace vital. Miranda avait raison, il était trop près pour ne pas mijoter quelque chose. Le regard taquin de Morgan ne la quittait plus, et révélait qu'il ne devait pas être enclin à accepter une réponse autre que positive. Par défi, elle renouvela son refus en secouant vigoureusement la tête. Le cœur d'Alissa se mit à battre plus fort, et la jeune femme sentit une chaleur parcourir son corps, une chaleur plus forte encore que celle de ce début d'été, ou que celle, plus humide, que générait la marmite de sauce encore fumante. Elle n'aurait su dire si cette réaction était provoquée par le regard et le proximité de Morgan, ou si son corps était en train de passer en mode combat-fuite. Alissa déglutit et fixa la cuillère. Si un mauvais coup se préparait, elle en serait de toute façon l'outil principal. Elle savait que Morgan n'aurait pas osé anéantir la jolie robe-chemise crème qu'elle avait spécialement dégotée, lavée, et même repassée juste pour ce jour. Alors quoi ? Les yeux gris clairs d'Alissa se mirent à naviguer rapidement entre la cuillère et Morgan, signe qu'elle commençait à paniquer. Il décocha un sourire enjôleur, ce qui, Alissa le savait depuis le jour où il avait réussi à lui faire recracher du soda par le nez, n'était pas de bonne augure. Il était rapide, plus rapide qu'elle, et elle était à sa merci, incapable d'anticiper ses gestes.