A chaque pression sur le clavier, une note pure et légère s'élevait dans les airs. Chaque accord était parfait et enchaînait le précédent avec grâce. La mélodie flottait et titillait l'oreille comme une plume dont on savourait la caresse. Les auditeurs, enchantés, souriaient tendrement en observant la pianiste qui jouait de ses doigts sur le clavier du piano blanc laqué. Parfois même, ils fermaient les yeux. C'était comme un autre monde dont les portes s'ouvraient exclusivement pour eux. Il y avait là le sentiment d'être privilégié. Une gorgée de champagne, un soupir de plaisir. C'était une bulle féerique dont ils ne se lassaient jamais lorsqu'ils venaient chez les Karnal.Lorsque les invités se rendaient au manoir de pierres blanches de l'illustre homme d'affaires Eronn Karnal, ils savaient tous à l'avance quel serait le clou du spectacle, car son succès était toujours le même. On aurait pu faire le déplacement pour la grande galerie d'art qui réunissaient des tableaux aux prix faramineux venus des quatre coins du monde. On aurait pu venir admirer l'architecture divine de la bâtisse qui avait maintenant plus de trois siècles, avec ses couloirs tapissés d'or et de bleu roi, son sol de marbre blanc ou encore sa grande salle de réception à la voûte peinte avec délicatesse, soutenue par des colonnes habillées de lierre. Non, en réalité c'était pour tout autre chose.
Sa fille, Diana Karnal, était réputée dans la haute société pour être une mélomane de talent. Chaque soirée signifiait qu'elle aurait son lot d'auditeurs curieux mais aussi habitués. Tous attendaient de voir la jeune femme de vingt-cinq ans s'assoir à son fidèle piano blanc, ses boucles brunes tranchant sa peau d'albâtre. C'était la signification que le récital commençait.
— Je ne me lasserai jamais de ces instants...
— Milady ?
— Hm ?
— Il n'est plus là.
La femme aux cheveux flamboyants qui se tenait au premier rang pour assister à la prestation tant attendue fronça brutalement les sourcils, se retournant pour n'observer qu'un espace vacant dans son dos. Ses doigts se pressèrent contre le verre de sa coupe de champagne presque vide et sa poitrine se souleva dans une inspiration qui, elle espérait, allait la calmer. Elle sentit instantanément un frisson d'agacement couler le long de sa colonne vertébrale. Ses yeux verts se tournèrent vers l'homme à ses côtés, habillé très sobrement d'un costume noir. Son visage était sans expression.
— Trouve-le, dit-elle d'un ton ferme.
Le subordonné hocha la tête d'une mine sérieuse et s'évanouit parmi la foule comme une ombre. Soudain, les invités se mirent à applaudir la jeune pianiste qui venait de finir sa performance dans une explosion de notes magistrales. La rousse soupira brutalement pour effacer ce problème de son esprit puis se rhabilla de son sourire de façade avant d'applaudir à son tour avec enthousiasme.
Diana Karnal se leva et s'inclina respectueusement en remerciement. Quand elle se redressa en lissant sa robe de velours noir, elle rajusta par la suite une mèche de cheveux derrière son oreille et sourit brièvement. Quand elle ne jouait pas, la jeune femme semblait être dans la lune, toujours ailleurs. Ses pensées l'absorbaient, qu'importe ce qui se trouvait autour d'elle. D'ailleurs, elle ne remarqua même pas son père qui l'approcha avant d'entourer sa taille de son bras, collant un baiser sur sa tempe.
— Que je suis chanceux d'avoir une fille telle que toi.
Gênée, la brune détourna le regard et laissa la foule continuer d'applaudir, l'effervescence ne semblant pas diminuer. C'était toujours ainsi, lorsqu'elle exerçait ses talents. Mais Diana n'aimait pas toute cette attention. Si elle faisait tout ça, c'était parce que son père le lui demandait et qu'elle ne voulait pas avoir d'ennuis. Après quelques instants à avoir joué au gentil petit animal de compagnie, Diana fit glisser lentement mais fermement la main de son père pour s'en libérer et partit vers le bar sans un mot, la foule se fendant sur son passage.
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𝐑𝐞𝐛𝐢𝐫𝐭𝐡
Romance« Cette famille est une malédiction. Elle m'étrangle et m'enchaîne, m'empoisonne et me tue à petit feu. J'ai cru voir en toi une lumière, une échappatoire. Toi, l'Etoile du Matin, tu étais l'espoir que je pensais pouvoir saisir. Mais la réalité m'a...