"It feels like a tear in my heart."
Danaë
Des notes de piano s'échappaient du salon de musique, au deuxième étage. Les cours particuliers d'Amarys avaient fait d'elle une vraie prodige musicale.
Je contemplais, d'un regard absent, le paysage automnal, à travers l'une des fenêtres voûtées qui bordaient les murs de la bibliothèque. Des feuilles mortes aux tons orangés tourbillonnaient au gré du vent. J'aperçus, au loin, le nouveau jardinier engagé par mes parents. Gadiel balayait avec vigueur les allées, armé d'un vieux râteau.
Je me blottis un peu plus dans mon plaid duveteux; le feu qu'avait allumé l'un des domestiques s'était éteint. Dans l'âtre, ne restaient plus que de rares braises éparpillées parmi les cendres, consumant les vestiges des bûches.
Brusquement, la porte de la bibliothèque s'ouvrit à la volée. Un courant d'air parcourut la pièce. Stella fit irruption dans un claquement de talons aiguilles, rompant le silence apaisant qui s'était installé. Surprise, je manquai de sursauter.
Habituellement, personne ne venait déranger ma lecture - si ce n'est qu'un domestique qui nettoyait la poussière accumulée entre les rayonnages ou qui allumait un feu de cheminée.
Stella était sûrement la dernière personne que je m'attendais à voir ici. Je me doutais même que c'était la première fois qu'elle daignait mettre un pied dans cette pièce.
Elle balaya du regard, avec peu d'intérêt, les rangées impressionnantes d'étagères, guère impressionnée par la splendeur de la pièce. Elle ne savait vraisemblablement pas reconnaître la beauté de l'endroit qu'elle avait sous les yeux. Elle osa même froncer son nez, assaillie par l'odeur des livres anciens. Elle avait définitivement des goûts opposés aux miens.
Ma soeur aînée se dirigeait dangereusement dans ma direction. Elle me lança un regard dédaigneux en s'asseyant gracieusement sur la chaise en face de la mienne. Elle grimaça à cause de la dureté inconfortable du bois.
Stella jaugea mon pyjama - un sweat et un jogging trop grands pour moi - puis s'attarda sur mes cheveux châtains, attachés dans un chignon désordonné. Elle afficha un mélange de mépris et de désintérêt profond. Je fis abstraction de son regard scrutateur qui respirait le jugement.
- Je pensais que tu étais déjà partie à ta séance photo, dis-je, un brin irritée . Tu ne risques pas d'être en retard, en t'attardant ici avec moi?
J'espérais que cet argument la ferait quitter immédiatement la pièce; être ponctuelle était bien plus important que de passer du temps avec une soeur dont elle ignorait presque l'existence. J'étais un fantôme, aux yeux de ma famille; celle qu'ils refusaient de voir et qu'ils s'efforçaient d'éviter comme la peste.
Quand j'étais petite, je pensais que ce n'était qu'un jeu, qu'ils faisaient semblant d'agir comme si j'étais invisible.
Et puis, j'ai compris.
J'étais condamnée à vivre dans l'ombre de ma sur car certaines personnes devaient se sacrifier pour voir ceux qu'ils aimaient, briller.
Je m'étais sacrifiée.
J'avais renoncé à toute attention de la part de mes parents qui avaient jeté leur dévolu sur Stella.
Ma soeur leva les yeux au ciel, visiblement agacée, elle aussi.
- Non, le shooting a été annulé à cause des conditions météorologiques. Le vent aurait ruiné mon brushing.
- Quel dommage.
Stella m'adressa un regard noir.
- Tu n'aurais pas pu faire l'effort de t'habiller? demanda-t-elle d'un ton dédaigneux. Tu es à peine présentable.
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The mirror's soul
Romance"On a tous un rêve enfoui en chacun de nous [...] J'aspirais à écrire ma propre histoire alors que l'encre et le papier m'avait été arrachés." Mais jusqu'où serait-elle prête à aller pour réécrire l'histoire? Danaë a toujours vécu dans l'ombre de sa...