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Entrée 1.

Je ne vais pas dire « jour » pour compter le temps qui passe : dans l'espace, tout est différent. Je suis parti sans réfléchir, à toute allure. Rien n'importe plus. J'ai eu de la chance dans mon malheur, il restait un unique dernier vol après celui qu'a pris l'autre enfoiré avant la prochaine séparation.

Je suis parti pour au moins cinq ans. J'ai cinq ans pour le retrouver. Cinq années pour ma sœur, qui n'en a plus aucune pour elle.

Est-ce qu'il avait préparé ça depuis plus de cinq ans, lui aussi ? Ou est-ce qu'il était déjà sur place et que le projet lui est venu ici ? Ce qui est sûr, c'est qu'il avait prévu le coup pour sa fuite, c'était l'avant-dernière navette qui a décollé avant que les deux planètes de notre petit système ne soient trop éloignées pour les échanges spatiaux.

J'en ai pour des semaines à me ronger les sangs, avant d'atterrir là-bas. Je n'ai rien sur lui, je ne peux pas faire de recherches pendant ce temps. Et je ne veux pas les contacter, à la maison. C'est trop dur. Ils vont être occupés de toutes façons, à... préparer les obsèques... de Shined.

Shined.

Ma sœur. Pourquoi ?

Ça ne peut être qu'un fou. Il n'y a aucune raison logique, politique, militaire, commerciale, qui justifierait un tel acte. Pas même une vieille rancune amoureuse ou quoi que ce soit. Shined me racontait tout, et je faisais de même.

Alors pourquoi l'a-t-il assassinée... pendant qu'elle donnait la vie à son tour ?

Il doit mourir, il doit souffrir pour ce qu'il a fait. Je veux le voir disparaitre, le voir contempler l'étendue de l'horreur qu'il a commise. Aucun pardon n'existe. Pas même pour un fou. Les fous ne sont pas idiots, il comprendra. S'il a déjà perdu tout sentiment humain, il me comprendra. Il m'a ravi les miens.




Entrée 2.

Me « ronger les sangs » n'est plus une expression assez puissante pour décrire ce qui me mine de l'intérieur. Le médecin de bord m'a déjà foutu des bagues aux doigts pour que j'arrête de faire souffrir mes ongles. Il n'a pas tort, je vois mal ce que je pourrais faire en arrivant si je n'ai plus l'usage de mes mains mais en attendant je n'ai plus rien pour extérioriser ma douleur. Ça me brûle de l'intérieur, comme si tout mon sang était devenu acide et me détruisait à petit feu.

Je ne savais pas que la tristesse pouvait faire si mal.

Je ne savais pas non plus que la vengeance se mangeait au zéro absolu.

Est-ce que cela suffira à réchauffer mon âme ?

Il est là, quelque part, devant moi, à des centaines de kilomètres. Il n'y a rien de plus que quelques parois et le vide absolu entre nous. A la fois trop de choses pour que je puisse l'atteindre physiquement et pas suffisamment pour mon esprit. Rien ne semble être entre lui et moi, et pourtant.

Il va avoir tellement de temps avant qu'on arrive pour disparaître dans la nature. Et je ne suis pas plus avancé que quand j'ai embarqué.

J'ai cinq ans pour le retrouver. Peut-être plus. La patience ne m'a jamais fait défaut. Il est dur d'être aujourd'hui si tendu à la simple idée de confronter ce déchet. Rien ne m'a jamais semblé à la fois si inaccessible et inévitable.



Entrée 3.

Je passe le temps et noie mes pensées noires dans les chaînes d'informations. Le visage de Shined est passé en boucle pendant longtemps, au début, c'était un calvaire. Elle souriait, elle était heureuse, elle attendait son enfant. On me voit parfois aussi. Je n'ai pas regardé ce qui se disait ces jours-là, je partais aussitôt que j'entendais quoi que ce soit en rapport avec notre famille.

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