Chapitre 1

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Villeneuve-Saint-Georges. Nous sommes le 4 novembre 1913, les rues sont vides de passant et la lune est déjà au plus haut laissant taper ses faisceaux lumineux contre les façades des bâtiments alentours. Le clapotis de l'eau ruissèle sur le parapluie noir que je maintiens bien haut au dessus de ma tête et de l'homme qui m'accompagne. Mes talons résonnent en un claquement sec contre les pavés glissant de part le mauvais temps incessant de ces derniers jours. Les lampadaires éclairent de leur lumière jaune vif le sol que nous foulons ce qui offre un éblouissant contraste entre la morosité des murs et le scintillement de ces épaisses dalles. Quelques voitures passent de temps en temps ramenant avec elles les ronronnements des moteurs qui disparaissent aussi vite qu'ils sont arrivés. Je serre un peu plus mon écharpe contre moi afin de me protéger du vent glacial qui me pince les joues et me pique le nez. L'air chaud que j'expire fait penser à la fumée de la cheminée d'un train. Le même genre de train que nous ne devons pas louper ce soir.

D'un pas décidé nous avançons en silence pour accéder à un petit pont qui franchit un segment de la Seine, l'eau danse au grès des remous que créée la pluie personnifiant ainsi cet élément naturel. Le tableau que j'observe, bien qu'il soit sombre et froid me paraît pourtant chaleureux et agréable tant la présence de l'homme que j'aime suffit à rendre chaque situation belle et paisible.
Je lui jette un coup d'œil rapide. Sous sa Gavroche et son long manteau, il n'y a que ses yeux et son nez que je peux entrevoir puisqu'ils sont seuls à ne pas être emmitouflés dans son épaisse écharpe grise que je lui ai soigneusement tricoté l'hiver dernier.
Il a les traits du visage tirés et fatigués et ses sourcils légèrement plissés lui donnent un air impassible. À quoi songe t-il ?

Ses yeux habituellement d'un bleu azur semblent davantage tirer vers le noir ce soir et je me surprends à le découvrir sous un nouvel aspect. Je ne peux m'empêcher de lui trouver un nouveau charme que je n'avais alors encore jamais vu.

Je me reprends et regarde de nouveau la route devant moi, on aperçoit déjà la gare qui se dessine au loin et mes entrailles se contractent à la pensée de cette séparation imminente. Il est alors 20h15. Antoine n'était pas censé repartir aussi vite mais il a dû remplacé un collègue de la PTT. Lorsqu'il m'a annoncé la nouvelle de son départ anticipé j'ai lu dans son regard qu'il était plus que contrarié alors je n'ai pas voulu en rajouter en l'accablant avec des reproches. Il devrait vite revenir. J'eus sommé de lui qu'il me rapporte un souvenir quelconque pour se faire pardonner, il a sourit tendrement à ma requête avant de me prendre dans ses bras.

Bien trop vite à mon goût nous pénétrons dans la gare de Villeneuve-Saint-Georges. De part l'heure tardive mais aussi l'annulation de beaucoup de train à cause des orages, les quais sont aussi déserts que les rues. Seuls quelques membres du personnel et l'équipage des rares convois tapissent le théâtre de cette scène. Maintenant protégés par la toiture, je referme soigneusement le parapluie dégoulinant. Ma main maintenant libre trace désespérément son chemin vers celle d'Antoine. Il me regarde pour la première fois depuis notre départ, son visage faiblement éclairé par les néons me dévisage comme si c'était la dernière fois qu'il allait me voir. Nos pieds traversent la gare allant de train en train pour enfin poser bagage au sol devant le poste n°11.

20h25 indique la grande horloge murale. Un coup de sifflet retentit et résonne dans tout le bâtiment tandis qu'un courant d'air frais vient gifler nos mains entrelacées. L'heure des aurevoirs a sonnée. Un étrange sentiment s'empare de moi, je regarde naïvement la machine postée dos à mon amant, suspicieuse une voix me fait douter. Un doute qui prend vite fin quand je sent deux lèvres chaudes et douces se poser calmement sur les miennes. Happée par une vague de chaleur au niveau de mon ventre, je me reconnecte enfin à la réalité.
Antoine me sourit de toutes ses dents, qu'il a l'air bête quand il fait ça. Néanmoins je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour.

- Je vais devoir monter m'installer, le travail commence bientôt pour moi.

Son travail consiste en partie à trier le courrier que transporte le poste n°11.

- Un homme doit accomplir son devoir n'est-ce pas ? Lui dis-je

- J'ai également un devoir envers toi ma Jeanne.

Il repose un baiser sur mes lèvres mais celui-ci est cette fois plus passionné que le précédent. Mon cœur tambourine sous ma poitrine une frénétique mélodie.
Le caractère désertique du quai donne à notre aurevoir toute l'intimité qui lui ai nécessaire pour exister. Son souffle frôle mon cou quand sa bouche voyage jusqu'à à la naissance de ma mâchoire. Cet élan de frivolité me fais glousser et je le recule aussitôt.

- Tu sens tellement bon, je n'ai pas su résister.

Les deux mains plaquées sur son torse, mes doigts s'emmêlent dans le bout de tissus qui entoure son cou. Mon regard se perd dans le mouvement de cercle qu'effectuent inconsciemment mes doigts et c'est le sifflement indiquant le dernier avertissement avant le départ qui me réveille.

- Cesses de dire des sottises, tu as un train à prendre !

Son expression faciale se dessine en une moue, je le serre dans mes bras un court instant inspirant à mon tour le parfum que je chéri tant avant de me séparer de son enveloppe physique.
Il se penche pour attraper sa valise et dans un dernier élan m'embrasse une dernière fois.

- Attends moi, je reviendrais.

Sa silhouette s'efface peu à peu pour enfin totalement disparaître dans les wagons mal éclairés. Je me mordille la lèvre et caresse fébrilement la bague autour de mon annulaire gauche. Mes pieds reculent en voyant passer le contrôleur qui vient fermer les portes.

- Le train va partir, vous feriez mieux de reculer mademoiselle.

Les pieds ancrés au sol, je suis incapable de bouger. Je cherche désespérément des yeux à apercevoir Antoine à travers une des vitres, j'attends sagement ignorant les avertissements du contrôleur qui finis par partir lassé de mon attitude.

Le train se met soudainement en marche, je perds espoir de le voir une dernière fois et c'est lorsque que m'apprête à faire demi-tour qu'une main vient taper contre une fenêtre. Comme l'apparition d'un ange il semble éclaircir l'obscurité régnante. Je fais un grand geste vers l'auteur de mon euphorie avant que celui-ci ne s'efface définitivement à travers la lourde brume de novembre.

Étrangement la première nuit ne fut pas la plus dure, ce n'est que le lendemain que j'eus cru mourir de chagrin.

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~ Note de l'auteure ~

Bonjour à tous ! Voici le premier chapitre de mon histoire intitulée "Onirique". J'espère de tout cœur que cela vous plaira, n'hésitez à voter si c'est le cas et à commenter car je serais ravie d'échanger avec vous !

Je m'investis beaucoup dans cette histoire d'amour historique pour la rendre la plus crédible possible, pour lui donner une âme et la rendre authentique. Je tâcherai d'être régulière dans les publications et tâcherai donc de poster un chapitre tous les samedis !

Je ne vous embête pas plus longtemps et vous souhaite une bonne suite de lecture ! À la prochaine ! ☺️

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OniriqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant