Prologue

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Le couloir aux murs de briques n'en finit pas. Je marche pieds nus sur les dalles froides, la peau couverte de chair de poule. Le vent siffle à travers les rainures des pierres abîmées. Il parle. Il prononce un prénom qui n'est pas le mien, et j'ai pourtant la troublante sensation qu'il s'adresse à moi.

Perséphone.

Je m'appelle Coré Daniel.

Perséphone.

Coré, me répété-je, encore et encore. Mon prénom est Coré.

Je ne dois pas l'oublier, même si à mesure que j'avance, j'ai beaucoup de mal à me concentrer. Le vent redouble de violence à l'extérieur, le froid égratigne mes bras, me fait claquer des dents.

Un peu plus loin se dessine alors une once d'espoir. Oui, une porte ! Je marche plus vite, le vent se met à siffler dans mon crâne. Dès que je m'arrête, essoufflée, devant le lourd battant en acier, le silence tombe avec la violence d'un couperet. J'ai juste le temps d'entendre une dernière fois un « Perséphone », lâché dans une lamentation discrète.

Je m'appelle Coré Daniel, j'ai dix-sept ans.

Je pose la main sur la poignée chaude. Trop chaude.

Pourtant, je ne parviens pas à retirer mes doigts collés à l'acier. Un grondement monstrueux s'élève derrière la porte. On dirait les hurlements d'un fleuve en colère.

Perséphone !

Lui aussi, il s'y met. Je lâche la poignée tant bien que mal et recule de quelques pas. Le grondement s'amplifie, le sol tremble. Je baisse les yeux. De l'eau rouge sang s'infiltre à travers mes orteils. Je recule encore, incapable d'appeler à l'aide.

Tout à coup, le tintement d'une horloge résonne dans l'air. Douze coups. Je compte douze coups avant que la porte ne cède sous la pression du torrent derrière.

Tétanisée, incapable de bouger, j'observe cette colonne liquide fondre sur moi à la vitesse d'une flèche décochée. Je ferme les yeux très fort en plaquant les mains sur mes oreilles.

Je m'appelle Coré Daniel, j'ai...

Un coup monstrueux dans ma poitrine me ramène à la réalité. Je me redresse en essayant de ne pas mourir noyée, jusqu'à ce que je m'aperçoive que mes poumons fonctionnent très bien. Ce n'était qu'un cauchemar. Je ne suis pas dans ce couloir étrange, mais dans ma chambre impersonnelle. Pourtant, j'entends encore le grondement du fleuve.

Je tourne la tête vers la fenêtre. La lune argentée s'incruste dans la pièce, lançant des ombres sur les nombreux dessins accrochés aux murs. Je jette les couvertures au bout du lit et me glisse derrière la vitre. Le bruit vient de motos qui fendent la rue à toute allure. Je cligne plusieurs fois des paupières et balaie la transpiration sur mon visage. Soudain, un mouvement près de la haie du voisin attire mon attention. Mon cœur s'emballe, une chaleur étrange m'envahit et des fourmis chatouillent ma nuque. Un type me regarde, baigné par l'astre lunaire. Il se tient debout, les mains dans les poches, et arbore un air tranquille. Je détaille ses cheveux noirs mi-longs ramenés en arrière, ses fringues sombres ainsi que les nombreux bracelets argentés autour de ses poignets.

Perséphone.

Je me dissimule derrière le rideau pour ne pas qu'il me remarque. Peine perdue, j'aperçois son sourire amusé. Je me plaque contre le mur, ferme les yeux et prends plusieurs inspirations.

Je m'appelle Coré Daniel.

Coré Daniel.

Coré.

Pourquoi mon propre prénom sonne-t-il faux dans mon esprit ? Pourquoi est-ce que je me sens différente depuis mon réveil ? J'ouvre à nouveau les yeux. Une Ombre se tient de l'autre côté de mon lit, immobile. Son apparence humanoïde n'enlève rien au fait que ses bras et ses jambes sont bien trop longs.

- Je vais bien, soufflé-je. Va-t'en, je vais bien.

Elle reste là à me fixer puis, lentement, elle se fond dans la nuit. Les Ombres ont tendance à apparaître quand je me sens stressée, terrorisée, perdue. Là, j'affronte les trois émotions en même temps.

- Je m'appelle Coré Daniel...

Je tourne la tête vers mon téléphone qui vient de vibrer à côté de mon oreiller. L'heure s'affiche en gros plan.

Minuit une.

- J'ai dix-huit ans, soufflé-je.

À nouveau, je jette un coup d'œil dehors. L'homme n'est plus là. Je l'ai peut-être imaginé ?

LES DIEUX OUBLIES ♛ HADÈS ET PERSEPHONE ♛ Sous Contrat D'éditionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant