LES DIEUX OUBLIES ♛ HADÈS ET PERSEPHONE ♛ Sous Contrat D'édition

Chapitre 1

Le Royaume des Morts se dresse dans le désert, à une dizaine de kilomètres de la ville de Phoenix. Malgré le vide hostile autour du bâtiment, les clients se bousculent chaque soir pour tenter d'y entrer. Je dis bien tenter, parce que le night-club est hyper sélectif, selon les rumeurs. Les gens s'entassent sur le parking avec espoir, dans l'attente de découvrir ou redécouvrir ce lieu à la mode. Ce même lieu qui résonne en moi et me fascine d'une étrange façon. Ses néons rouge criard sur la façade plongent une partie du parking dans une mare sanglante et mouvante. On dirait qu'une eau trouble suinte du sol.

Comme celle du fleuve dans mes rêves. Elle me percute avec violence et me réveille en sursaut depuis... depuis le jour de mes dix-huit ans. Ça fait bientôt deux semaines que je dors à peine, hantée par des visions que je ne m'explique pas. Du bout de mon escarpin, je gratte le bitume. Je m'attends presque à sentir le liquide imbiber mon collant couleur chair sous la semelle.

— Perséphone !

Je relève la tête vers mon meilleur ami. Il m'observe en fronçant les sourcils.

— Tu es réveillée ou quoi ?

— Comment tu m'as appelée ?

Brook se marre sur ma droite en lissant ses cheveux du plat de la main de chaque côté de ses épaules. À ses côtés, Adon me répond sans vraiment comprendre :

— Coré. Comment veux-tu que je t'appelle ? Je te demandais si tu étais certaine de vouloir fêter ton anniv' ici. 

J'ai dû imaginer... 

— Oui, certaine.

— On est entassés comme des sardines dans une boîte de conserve.

— Évidemment, crétin ! rétorque Brook en soupirant, puisqu'il faut laisser aux voitures la place d'arriver et de repartir et qu'il y a un monde fou. Faut bien caser la file d'attente quelque part.

Ce quelque part se trouve le long du mur d'enceinte du Royaume des Morts. Je caresse les pierres noires du bout des doigts, percevant l'étrange énergie qui en émane.

— Mais si à l'intérieur, c'est aussi bondé...

— Ce ne serait pas un lieu aussi branché si on pouvait à peine bouger à l'intérieur, rétorque ma meilleure amie.

— Qu'est-ce que tu en sais ? Tu n'y es jamais entré, que je sache.

Pendant qu'ils se disputent, je lance un coup d'œil pardessus mon épaule pour tenter de voir où s'arrête la queue. Je n'en vois même pas la fin. En revanche, depuis une demi-heure qu'on poireaute dans la file, j'aperçois l'entrée gardée par un videur impressionnant.

Encore une fois, je regarde le mur, comme si je pouvais voir à l'intérieur. Depuis l'ouverture, je rêve de savoir ce que dissimule ce bâtiment. Le gérant parvient à garder les secrets autour de son night-club, rien ne fuite jamais sur le Net. J'ignore comment il parvient à garder le contrôle si facilement. Certains racontent qu'on doit donner nos téléphones avant d'entrer, ce qui ne me plaît pas des masses. Bref, le mystère fait fantasmer tout le monde, y compris moi. Malgré les mises en garde d'Adon, j'ai juste l'intime conviction que je me trouve au bon endroit, comme poussée par le destin.

Ou par mes dessins. Ces croquis du Royaume des Morts que je ne cesse de griffonner dans mes nombreux carnets chaque matin, au réveil. Ils ressemblent étrangement à ce bâtiment que je n'avais jamais vu jusqu'à ce soir. Un gros rectangle noir sans fenêtre, prolongé par de hauts murs qui s'enfoncent dans la nuit. Le nom du night-club écrit en néon rouge semble défier le monde. Je l'imaginais exactement de cette façon. J'aurais pu être surprise par la véracité de mes visions, si je ne me trimbalais pas une horde d'Ombres depuis que j'ai l'âge de réfléchir. Peut-être que c'est lié et que je découvrirai enfin qui je suis vraiment.