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Samedi 15 juin

C'est officieusement les grandes vacances d'été.

J'en ai profité hier pour dormir plus tard que d'habitude, aux alentours de quatre heures du matin, je ne peux pas tenir plus longtemps sans sommeil. Je me suis réveillé aux alentours de treize heures. En me dirigeant vers la salle de bain je remarque déjà mes premiers boutons de moustique, c'est un signe que l'été approche monstrueusement vite. Je me regarde dans la glace.

Mon Dieu, j'ai l'air encore plus horrible qu'hier : j'ai les cheveux encore plus en bataille que d'habitude, mon teint est horrible et mon visage est affreux. Bon après, c'est les vacances, donc tant pis. Ce n'est pas comme si j'allais voir quelqu'un de toute façon.

Il y a deux raisons pour lesquelles j'ai l'air si horrible aujourd'hui : d'un, je me suis couché tard et de deux j'ai croisé nos parents le soir. Oui, nos parents. Depuis que je suis devenu toi, depuis cet accident, les regards que nos parents portent sur nous a viré au pire.

Notre père ne nous adresse plus la parole, il nous ignore, ses regards noirs remplis de dégoût nous expliquent ce qu'il pense de nous à la place de sa bouche. Il ne semble plus se soucier de notre vie, il attend probablement juste le fait que nous soyons majeurs pour qu'il soit débarrassé de nous.

Notre mère essaie d'être plus complaisante et tente de se soucier de nous néanmoins elle apprécierait fortement si je pouvais devenir l'homme qu'elle veuille que nous soyons. Cela ne l'empêche pas non plus de nous regarder avec écœurement et de nous faire énormément de reproches, surtout dans ses messages téléphoniques, comme si nous étions en faute de tout le mal qui arrivait dans leur vie.

Dans cette maison je ne vis pas, je survis et on ne peut même pas dire que t'es en vie tout court toi.

Après m'être brossé les dents je m'assois sur le canapé et j'allume la TV. Je n'ai pas spécialement faim mais je ne dis pas non à de la nourriture, je me relève donc vite fait et je me dirige vers la cuisine où j'attrape tout ce que je peux : des céréales au chocolat que je fourre dans un bol et dans lequel je verse du lait froid et une cuillère. En me rasseyant je regarde un épisode de RuPaul's Drag Race, c'est la seule émission qui arrive encore à me faire rire aujourd'hui et je la regarde en cachette. J'adore comment les drags de cette émission sont toutes fières et courageuses mais possèdent aussi leur propre esprit du fashion. Elles n'ont peur de rien et se montrent fièrement devant le monde entier sans faire attention aux moindres critiques.
Leurs personnalités sont distinctement différentes de la mienne et ressemblent énormément à la tienne, celle que tu avais avant l'accident.

Je prends une bouchée de céréales imbibées de lait mais pas assez pour qu'elles restent croustillantes, elles sont meilleures comme ça. Puis je regarde ma nourriture.

Ces dernières années sans toi j'ai eu une relation très toxique avec la nourriture.

Je l'appelle l'effet "yoyo", il y a des périodes où je mangeais énormément jusqu'à me péter le vide et ce, à n'importe qu'elle heure, je grignotais tellement qu'on aurait dit que je m'enfilais huit repas par jour. D'autres périodes, je ne mangeais rien, je n'avais pas d'appétit et je déglutinais juste assez de nourriture pour rester conscient et en vie. Je pouvais prendre jusqu'à une dizaine de kilos et les perdre en l'espace de plusieurs semaines ou mois.

Je reste toujours obsédé par la balance que je garde sous notre lit, c'est cette balance qui me donne le feu de départ pour telle ou telle période.

Je n'ai jamais consulté un spécialiste pour tous les problèmes que j'ai eus avec toi, pour moi c'est tabou, et puis je ne sais pas, je sais que ça m'aiderait énormément mais je ne franchis pas le cap.

Toi et Moi dans le même corpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant