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          À des vies des affres qui hantaient les siens, Yu s'extasiait du tableau paradisiaque que lui offrait la nature

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          À des vies des affres qui hantaient les siens, Yu s'extasiait du tableau paradisiaque que lui offrait la nature. L'alliance entre le maritime et le bucolique de cet endroit était une jouvence nouvelle pour quiconque le découvrait avec les yeux souffrants d'un damné. Mais ses iris à lui avaient retrouvées leur éclat d'antan, cette source d'insouciance et de joie qui constituait son être. De son vivant, il avait toujours été la lumière de ceux qui ne se retrouvaient plus, des déchus, des victimes du destin, des réfugiés de la souffrance, tant son optimisme était présent. Il avait été le phare dans la tempête, le fil au milieu du labyrinthe, le Caducée des guérisseurs, il avait été celui qui, d'un simple regard, avait pu ranimer la flamme de ceux qui mourraient de l'intérieur. Et il n'avait jamais rien demandé en échange, car Haibara était comme ça, un ange tombé du ciel, non pas parce qu'il avait perdu ses ailes, mais parce que sa bonté avait été le pire bourreau du diable. Il voyait le bien même dans le plus terrible des êtres, et aimait tout et tout le monde. L'Éden qui l'entourait représentait à merveille le joyau qu'il était.




          Pourtant, le paysage arcadien de son paradis était différent de celui des autres rescapés. Il y avait ce détail qui le rendait encore plus spécial, étrange, unique, un lieu qui ne lui était même pas destiné. Ici, il y avait toujours la mer turquoise et ses frontières de galets, les oiseaux et leurs légendes triomphantes, mais il y avait aussi, caché derrière des fleurs éternelles, un endroit aux effluves si paisibles qu'elles en rivalisaient avec celles de l'océan. Camouflé par ces douces plantes, un lieu unique se découvrait, où seuls quelques livres étaient posés sur ce qui semblait être des coussins. Mais Haibara était triste de pouvoir constater la présence de cette nouvelle place, parce qu'il savait ce qu'elle représentait, et que cela lui anéantissait le cœur.



—  Il est encore tôt, Nanami.

—  Haibara ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

—  Je ne sais pas trop, c'est étrange.



          Et Kento fut témoin de la seule chose qu'il aurait aimé ne jamais apercevoir, dans la vie comme dans la mort, dans la paix comme dans la souffrance. Cette situation qu'il n'avait même pas osé imaginer dans ses rêves les plus sinistres, tant cela lui paraissait impossible. Avec horreur, il constata des perles salées parcourir les joues de son camarade, de son unique ami, de celui qui fut son seul refuge. Elles lui creusaient le visage avec impétuosité, glissant agressivement contre sa peau frêle, trouvant finalement refuge dans le creux de ses clavicules. Les traces invisibles de ses larmes parsemaient son visage angélique autrefois si souriant. Jamais Nanami n'aurait cru voir un tel spectacle, et jamais il ne l'aurait voulu. Cette scène rendait sa poitrine aussi lourde qu'une ancre que l'on aurait jetée à la mer.




—  Qu'est-ce qu'il t'arrive ? murmura-t-il complètement abasourdi.

—  Tu ne devrais pas être ici. Pas maintenant, pas aussi tôt.

—  Pourquoi dis-tu ça ?

—  Kento, il est tard. Le soleil s'est déjà couché.




          Ce fut à ce moment là qu'il comprit la cause de son émoi, et la raison de sa présence en ce lieu saint. Au fond, un certain soulagement le prit. Nanami était de ceux qui avaient porté toute leur vie le poids des remords, de ceux qui étaient usés par l'existence et ses vices. Alors il refusait de regarder le portrait de son seul ami être englouti par le désespoir.



—  Oh Yu, pourquoi pleures-tu ? Tu n'as pas à être triste, je suis enfin libre.

—  Je ne suis pas triste ! Je ne suis jamais triste, protesta-t-il en faisant dos à son interlocuteur, cachant les sillons qui enrayaient ses traits.



         Dans un élan de détresse, Nanami prit son visage en coupe afin de retirer les larmes qui le noyaient, et de revoir le sourire séraphique dont seul Haibara avait le secret. Il n'avait pas à être peiné, et il s'en voulait terriblement d'avoir fait pleurer une personne aussi gentille qu'il ne l'était. En prenant soin de l'observer attentivement, il voyait la jeunesse qui faisait rayonner son portrait, la jeunesse qu'il n'avait jamais pu achever. Son existence avait été dérobée par cet être maudit envers lequel il conservait toujours cette rancœur malgré les années à tenter de faire le deuil. Il n'aurait pas du décéder dans ses circonstances, pas aussi tôt, pas aussi jeune. Il aurait pu avoir toute la vie devant lui, mais le destin, cruel despote de son histoire, lui avait arraché cet espoir. Seulement, était-ce un mal en fin de compte ? Le monde était si vicieux que lui-même avait passé l'entièreté de son existence à essayer de le rendre meilleur, puis à le fuir. Il était fatigué de cette vie à faire le figurant, à ne jamais cesser de courir après le temps, qui, dans sa course folle, ne prenait jamais la peine d'observer les miséreux rampant à ses côtés, tentant de capturer le sable qui s'échappait de cet éternel sablier.




—  Je suis fatigué Yu, je n'avais plus la force de mener un combat de plus.

—  Je le sais bien, mais c'est plus fort que moi. J'aurais souhaité tant de choses pour toi, mais tu mérites de vivre la paix désormais, déclara-t-il en retirant délicatement les doigts de son ami prostrés sur son visage. Tu as le droit, et c'est normal. Tu n'as plus à te battre.

—  Merci. Pour tout.

—  Ne me remercie pas, je suis heureux ! continua-t-il en arborant de nouveau son habituel sourire. Il me semble que tu aimais la Malaisie, n'est-ce pas ? Tu aimes toujours ce pays ? Ici nous n'y sommes peut-être pas, mais tu vas pouvoir te reposer des jours entiers sans que tes cauchemars ne viennent te hanter. Tu vas enfin pouvoir effacer toutes ces insomnies qui ont plus bercées tes nuits que tes propres rêves.




          Suite à ces mots, Haibara observa à son tour le portrait de son ami, de l'essence de ses prunelles aux froissements de ses plis, passant par les traits anguleux de sa plastique. Il avait au-dessous des yeux de profondes abîmes témoignant d'un épuisement flagrant, alors que son expression faciale semblait être en perpétuelle crise existentielle. Il était exténué, cela se voyait, et même ceux qui passaient leur vie à feindre l'ignorance ne pouvaient rater pareil accablement. Son faciès avait mûrit, vieillit, et cela lui rappelait tristement l'écart qui les dissociait désormais, le temps qu'ils avaient passé ainsi séparés, à espérer secrètement ces retrouvailles inespérées.




—  Tu sais, je n'ai plus de regrets. J'ai arrêté d'en avoir au moment où j'ai fermé les yeux.

—  Tu n'as plus à faire d'efforts, sois tranquille. Allons nous asseoir maintenant, j'ai envie de voir le soleil se lever.

—  Déjà ?

—  Souviens-toi, le temps ne compte pas ici. Ne cours plus après lui, c'est fini.

—  Tu as raison, allons-y.

LE SPLEEN DES MACCHABÉES, jujutsu kaisen.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant