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          La fraîcheur apaisante de l'océan effaçait les contours de sa silhouette immobile

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          La fraîcheur apaisante de l'océan effaçait les contours de sa silhouette immobile. Elle berçait ses vagues à l'âme et ses souvenirs d'antan, alors que son esprit voguait au-dessus du monde. Mai se sentait paisible, comme endormie près du rivage à écouter le silence faire ses prières. Elle était si épuisée que son corps en était tombé à la renverse, épuisée d'avoir trop souffert, épuisée d'avoir vécu tant de choses en si peu de temps. Ici, elle pouvait enfin se reposer des jours sans que le soleil ne vienne la déranger, alors que même les oiseaux taisaient leurs idylles pour laisser à son âme le répit qu'elle n'avait jamais eu. Elle avait le calme qu'elle méritait, la tranquillité qu'elle avait tant recherché, après avoir subi pendant toutes ces années les hommes de sa famille la rabâcher sur ce qu'elle était et sur ce qu'elle aurait dû être. Ils l'avait tous considéré comme une moins que rien, comme une ratée de la vie, comme une proie à abattre, et l'avaient traîné plus bas que terre afin que son visage conserve, gravé dans le marbre, la marque de la crasse que représentait son rang inférieur. Du plus profond de son âme, elle conservait cette rancœur envers ceux qui avaient pourri sa jeunesse et empoisonné sa liberté. Mai était heureuse d'être partie, mais elle avait ce sentiment que son existence aurait pu être autrement.
Elle avait si peu vécu, finalement.




—  Je t'attendais, Maki.

—  Mai ?

—  À ce que je sache.

—  Où sommes-nous ?

—  Partout et nul part à la fois. Ou peut-être au paradis, je ne sais pas.




          Les pupilles fermement ancrées dans celles de sa sœur, Maki s'approcha de sa carcasse flottante pour s'abaisser vers l'étendue d'eau turquoise. Autour d'elles, il n'y avait rien, pas même un volatile à l'horizon. Tout était terriblement calme et serein, et c'en était presque effrayant pour elle qui n'avait jamais goûté à un tel silence. Elle voyait, de son unique œil valide, les traits émaciés et le regard fatigué de sa jumelle. Sa plastique semblait rongée par l'éreintement. Elle ressemblait à un macchabée auquel on aurait oublié de retirer l'âme mourante, et que l'on aurait ensuite laissé à l'abandon aux confins de la galaxie.



—  Ne me regarde pas comme ça, j'ai l'impression de te faire pitié, maugréa-t-elle tristement dans un murmure.

—  Je déteste les gens qui éprouvent de la pitié, ne me compare pas à eux.

—  Pourquoi ?

—  La pitié est toujours accompagnée du mépris.



          Mai ne daigna pas bouger, mais ses yeux oscillaient entre le corps décrépi et le sombre faciès de la seule famille qui lui restait. Sa silhouette paraissait être la sépulture de cicatrices témoignant de la douleur de son passé, alors que son visage avait été immolé et rendu borgne par la seule force de la cruauté. Parce que parfois, les pires ennemis n'étaient pas ceux qui étaient en face, mais ceux qui se trouvaient au plus proche, là où les coups de poignards ne se voyaient pas. La famille était ce qu'il y avait de plus précieux chez certains, mais chez les Zenin, elle n'était que le pilier de leur joug, ou bien pour Maki et Mai, la plus grande balafre de leur histoire.




—  Tu le sais déjà mais je t'ai longtemps détesté autant que je t'ai aimé, déclara-t-elle. J'avais tant de haine contre toi que je ne voyais que le mal, parce que je pensais que tu m'avais abandonné. Mais aujourd'hui je m'en fiche, car ici je suis bien mieux que là où j'étais. Là où est ta place.

—  Ma place ?

—  Tu es vivante, je suis morte. Nous ne pouvons plus côtoyer le même monde c'est évident.




          Elle finit par se poser dans l'eau, les mains suspendues au dessus de la surface liquide. Son œil se dirigea vers l'horizon du bout du monde, aussi loin et déprimant que ne l'était sa propre tranquillité. Car même si Mai avait trouvé la paix auprès de ces terres silencieuses et vides de parasites, Maki était toujours en vie, condamnée à poursuivre l'impossible et à endurer ses souffrances.


          Au-dessus d'elles, les rayons déclinaient leur lumière alors que l'étoile disparaissait derrière l'océan. L'atmosphère devenait un peu plus humide et froide, prête à accueillir le voile de la nuit et l'astre qui l'accompagnait. Pourtant, elles restaient toutes les deux parfaitement immobiles, laissant le temps faire comme bon lui semblait.



—  Je n'ai qu'un seul regret, c'est de ne pas avoir vécu suffisamment longtemps pour voir la chute de la famille Zenin de mes propres yeux. Mais je suis morte pour que toi tu puisses la détruire. Alors désormais, je veux que tu survives pour ce que je n'aurais jamais l'occasion de vivre. Je veux que tu montres au monde qui tu es, que tu leur prouves ta puissance, car plus jamais personne ne te mettra genoux. Tu es forte, tellement forte, mets-les à terre s'ils te méprisent et deviens leur bourreau. Soit une guerrière, Maki, soit une reine.

—  Mai... , commença-t-elle.

—  Je serais toujours là, ne l'oublie pas, alors je t'interdis de mourir avant de les avoir fait ravaler leur fierté.


          En disant cela, elle s'était enfin redressée pour faire face à sa sœur. Elle ne paraissait plus avoir la fierté d'antan, probablement parce qu'elle n'avait plus à se faire valoir devant quiconque à présent. Elle avait trouvé son Éden, sa source de bienséance, alors elle se fichait pas mal de l'image qu'elle renvoyait, surtout devant celle qui avait vu la folie humaine à son apogée.


—  Je te le dois bien, après tout.

LE SPLEEN DES MACCHABÉES, jujutsu kaisen.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant