- Honte à la Patrie - (1)

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Anna Yartseva déambulait entre les bâtiments du camp, serpentant dans les étroites allées. Longeant les murs pour n'être pas trop aperçue, n'appréciant point les regards pesant sur elle, elle croisa tout de même quelques Allemands qui lui ôtèrent leurs casquettes dans une polie révérence.

Elle rendait un timide sourire, qui se voulait sincère, mais qui ne l'était pas tant aux yeux d'une personne dotée d'un minimum de bon sang. Mais comme la plupart des hommes ici en étaient dénués...

Elle détestait ces lieux. La nausée lui prenait à la gorge lorsqu'elle venait à traverser l'un des longs couloirs de ces lugubres bâtiments. Une macabre atmosphère l'étouffait à petites bouffées ici. Tout paraissait morbide autour d'elle.

Tous ces Allemands qui déambulaient d'un pas assuré, jouant avec la crosse de leurs armes de service. Tous ces Russes, asservis de leur poigne de fer, cravachés, le dos courbé sous le travail qui pesait sur leurs maigres épaules d'esclaves.

Et au milieu de tous ces hommes forts et fiers, elle, jeune femme, apeurée, perdue dans un monde qui ne devrait pas être le sien. Libre de ses mouvements, mais attachée au poignet du Standartenführer Jäger. Logée au même titre que les officiers, mais, d'un simple regard, rabaissée au titre de piètre captive.

Elle était effrayée. Effrayée de ces lieux, effrayée de ces gens, qui pouvaient faire d'elle ce qu'ils voulaient ; qui pouvaient la dévorer de leur avide appétit d'Allemands d'une simple bouchée. Elle sentait toute l'autorité de ces gens peser sur elle comme un poids indicible, dont elle ne pouvait se défaire, et qui l'accablait chaque jour un peu plus.

La tête mise à ras du sol, elle sentait ses poignets comme épris de chaînes, mise à genoux contre sa volonté. Tout cela parce qu'elle était russe... Que la guerre rendait inhumain le plus sage des hommes...

Elle pinça ses lèvres pour retenir une larme qui se formait aux coins de ses yeux. Elle s'arrêta au coin d'un bâtiment pour l'essuyer, ravalant son chagrin dans un hoquet douloureux. Tout ce qu'elle voulait, c'était rentrer chez elle, et qu'enfin cesse cette maudite guerre...

Lorsque soudain, un lourd fracas la fit tressaillir. Un craquement sinistre, effroyable, tel des os qui se brisent d'une force surhumaine. S'ensuivit un long cri d'agonie qui résonna jusque dans le crâne de la jeune femme.

Tétanisée dans un glaçant effroi, elle jeta un craintif coup d'œil par-dessus le mur derrière lequel elle se cachait. Et ses yeux s'ouvrirent de stupéfaction comme de terreur.

À quelques mètres d'elle, le Standartenführer Jäger, genoux à terre, les mains cachant son visage recouvert d'un sang dégoulinant qui commençait déjà à se figer sous le souffle glacial de Novembre. Devant lui, le surplombant de toute sa hauteur, un officier allemand qui, semblait-il, était d'un grade supérieur. Dans la main de celui-ci, Anna crut apercevoir une sorte de livre, comme un carnet.

Mais n'eut-elle pas le temps d'en distinguer plus que le supérieur abat son fouet sur le visage de Jäger, d'une telle violence que le son résonna au loin dans le campement, et recouvra la peau d'Anna de vifs frissons tandis qu'elle retint de ses mains un couinement de surprise.

Après le coup, Jäger, dans un cri où se mêlaient dolence et effroi, se laissa tomber en avant dans un lourd craquement, le visage dans la boue, comme mourant.

«Tu me déçois beaucoup, Klaus...» cracha le supérieur à la figure du plus faible, le nez retroussé de fureur.

Alors il lui envoya le fameux carnet au visage, le mépris aigrissant ses durs traits. L'autre le reçut en plein visage, gémit de douleur dans un couinement silencieux. Ses membres tremblaient de douleur, comme un jeune animal blessé. Il ne pouvait plus bouger, paralysé par la douleur et la crainte du fouet qui le menaçait.

𝐆𝐞𝐫𝐦𝐚𝐧 𝐋𝐨𝐯𝐞 [Recueil T-34]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant