- Honte à la Patrie - (2)

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Assis sur son siège, Klaus Jäger retira le mouchoir qu'il tenait à ses lèvres. Le tissu était imbibé de sang. Il le glissa délicatement entre ses lèvres, espérant que l'hémorragie cesse vite.

Son visage était déjà scarifié de tout son côté gauche, nostalgiques souvenirs de ses combats en Russie auquel il était très peu attaché. Mais la réprimande qu'il venait d'avoir lui avait ouvert de nouveaux ces vieilles cicatrices qu'il espérait ne plus jamais revoir. Avec le frottement du fouet, les brûlures se faisaient d'autant plus intenses.

Devant lui, son vieux carnet, tâché d'encre, de boue, et maintenant, de sang. Ce carnet devait être son salut. La seule manière pour lui d'exprimer ses troubles, se confesser sans devoir mettre personne dans la confidence.

Toute sa vie s'y tenait. Et, plus compromettant que toute chose, il y avait ses rapports sur Anna. Tant de pages lui étaient dédiées, l'on ne les comptait plus. Et cela l'avait mené à sa perte.

Il décrivait la beauté de ses traits, la douceur des instants passés à ses côtés, et le charme irrésistible des délicieux sentiments qui le submergeaient en sa présence. Il songeait jours et nuits à elle, elle hantait son esprit comme une ombre, un souffle délicat qui envoûtait ses pensées et les embellissaient.

Ces sensations étaient devenus...comme une drogue pour lui. Il passait ses journées à dessiner par d'imaginaires traits les fins contours de ce divin visage, de se délecter de la couleur boisée de son regard, un regard d'une lueur si tendre, si charmante, si ensorcelante, qu'il ne pouvait tout simplement pas résister.

Il repensait, tout en tournant les pages, aux propos tenus par son supérieur.

«Toi qui disait ne pouvoir apprécier la race inférieure, toi qui disait être intangible à toutes les bêtises qu'est l'amour, toi qui étais si dévoué aux idées nazies...»

Bien-sûr, il avait tenu ses propos, durant une interview. On lui avait forcé la main pour faire l'éloge du mouvement nazi en vigueur alors en Allemagne.

Mais, au fond de lui, il savait cette idée stupide.

Du moins la trouvait-il stupide depuis Anna.

Elle était Russe. Il devrait la mépriser, comme sa patrie, qui tue à petit feu sa propre terre mère. Il devrait la battre pour revendiquer son autorité, la soumettre, comme tous les autres, à des conditions de vie effroyables, abominables, invivables.

Mais comment le pouvait-il, devant ce regard si apeuré, devant ce corps tremblant de crainte ? Cette femme semblait comme un jeune animal abandonné, perdu dans un monde étranger, effrayé de tout, prêt à pleurer au moindre bruit, au moindre toucher.

Il ne pourrait jamais la laisser à un mauvais sort.

Il s'en était rendu compte lors de sa première rencontre avec Ivushkin, lorsqu'il avait menacé Anna de son arme de service. Ce geste lui avait fendu le cœur, alors qu'il ne connaissait pas encore la jeune femme.

Ce corps frêle et tremblant recroquevillé contre un mur, ces perles bleutées qui fendaient ses joues creusées, et cette voix qui se déchirait sous l'effroi... Il avait fait pleuré cette femme, et il s'était juré de ne plus jamais lui faire le moindre tort...

«Tu oses trahir ton pays de la sorte ?»

Pour Anna, il était prêt à tout...

Lorsque soudain, un bruit le sortit de sa torpeur. On frappait à la porte. Immédiatement il laissa tomber son carnet dans le tiroir de son bureau, et en claqua violemment la porte. Ce qui était bien inutile, puisque le nouvel arrivant l'avait bien vu.

𝐆𝐞𝐫𝐦𝐚𝐧 𝐋𝐨𝐯𝐞 [Recueil T-34]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant